On explore D comme Dérive avec #HorsSaison, réalisé par jigsaw avec la saison culturelle de Bordeaux — à J+1215 du premier jour de la première saison en 2017 avec Paysages puis en 2019 avec Liberté ! : l’appel du large et celui de l’ouest, la fiction hallucinée d’Aurélien Bellanger qui voit dans les villes de bords de mer et dans ses constructions les vestiges de notre civilisation, les images d’entre deux vagues proposées par Alexandre Chamelat qui s’est intéressé aux littoraux dans des teintes mélancoliques. Deux regards, depuis la saison 2019, tournées vers la mer et ses vestiges.
Dessine moi une maison
Comment vivaient les hommes ? Nous progressons à tâtons à travers les diverses structures qu’ils ont habitées. Leur variété indique le souci passionné qu’ils avaient de découvrir la forme idéale destinée à accueillir leur corps : ils ont à peu près tout expérimenté, et on vient même à soupçonner, devant une telle surabondance de tentatives, qu’ils étaient bien, selon le mot d’un de leurs philosophes, « l’espèce non encore fixée » : un mollusque à la recherche de son coquillage. Toute une partie de la métropole, la plus serrée, la plus dense, a ainsi été taillée dans une pierre calcaire et lumineuse : des milliers de cubes habitables, serrés les uns contre les autres comme des sucres dans une boîte. On a d’ailleurs longtemps supposé qu’ils se ratta- chaient tous à une structure unique, une sorte de grand disque de pierre cuite, à travers lequel les humains, espèces troglodytiques, auraient découpé à vif des venelles et des grottes.L’existence d’une structure de ce type, une cinquantaine de kilomètres à l’est, semble corroborer cette hypothèse : on trouve là-bas une colline creusée d’un tel réseau de caves et de tunnels ; le village entier qu’on aurait bâti au-dessus pourrait avoir été, en des temps anciens et avant de se fissurer ultérieurement en de multiples pierres séparées, un seul et immense monolithe, un monolithe sculpté par cette espèce fouisseuse et « lithovore ».
On trouve aussi, de l’autre côté de la ville, à l’ouest, au bord d’un ancien lac et comme sorties de la vase, des villes aux maisons miniatures, concassées les unes contre les autres, avec entre elles, dans un étonnant désordre, à peine assez de place pour laisser passer un humain : on dirait des dés partout jetés sur le sol et percés du nombre d’ouvertures que le sort aurait décidé de leur donner. Leurs villes sont, en réalité, entourées de ce jeu gigantesque et vain avec l’idée de hasard : sorte de cornets éventrés, de roulettes dont on aurait aboli les bords, elles ont disséminé autour d’elles, par paquets ou par grappes, des unités primitives d’habitations humaines.La tour d’habitation, qui se répète d’étage en étage, ressemble à l’empilement de plusieurs centres historiques sur eux-mêmes, à l’enfilement vertical de plusieurs dizaines de villages sur les fils d’acier des cages d’ascenseur. Et l’expérience limbique du glacis pavillonnaire, le rêve de la véranda, de la piscine, du jardin privatif pourrait même être étrangement conservé dans ces structures que les humains n’ont, semble-t-il, pas sues aimer à leur mesure. Il existe ainsi, quelque part au nord-ouest, après le Jardin public, les vestiges d’une fabuleuse tentative de réhabiliter la ville, de rendre à cet urbanisme délaissé du béton quelque chose de sa dignité perdue. La grammaire de la barre et de la tour a ici articulé, au Grand Parc, des mots nouveaux. On a prudemment disséqué la grande façade triste pour apposer sur la structure convalescente le babylonien ajout d’un grand jardin d’hiver, presque aussi grand que la structure primitive : un tour de lumière et d’air invisible déposé sur la construction mourante, comme des coraux efflorescents bouturés sur un atoll épuisé et blanchi, une vie nouvelle repartie, comme du lierre, à l’assaut du bâtiment mélancolique, une vie économe, dé- carbonée et aérienne.
Et nous éprouvons, devant cette tentative, une nostalgie très douce pour le devenir possible, interstitiel de cette espèce, qui échoua de si peu à éviter la catastrophe climatique : une espèce moins morte d’avoir trop construit que de ne pas avoir assez aimé ses villes.
🖊 Extraits du « Dessine moi une maison », un texte d’Aurélien Bellanger écrit dans le cadre de ses chroniques hebdomadaires, parues dans Sud Ouest en 2019.
Qu’est-ce que Bordeaux Saison Culturelle ?
Pensées et construites comme un outil de développement et d’innovation culturelle au service du territoire, les saisons culturelles de Bordeaux s’imposent, depuis la première édition de Paysages 2017, puis à l’appel de Liberté ! 2019, comme un temps fort culturel créatif, véritable projet collectif, fondé sur des créations d’artistes en résidence, le lien avec l’ensemble des acteurs locaux, opérateurs culturels, petites et grandes institutions et la redécouverte de lieux et de territoires inexplorés. Le label Bordeaux Saison Culturelle constitue ainsi un véritable laboratoire de création fondé sur un renouveau de la politique culturelle bordelaise, articulé autour d’un récit de territoire, destiné à tous les publics.
Paysages Bordeaux 2017 explorait le tracé de la ligne à grande vitesse, à travers les itinérances esthétiques ferroviaires, dessinant une verticale du territoire du nord au sud. C’est sur la ligne horizontale plein ouest voguant librement entre l’estuaire et l’océan que Liberté ! Bordeaux 2019, se déployait. La prochaine saison culturelle 2021 sera une invitation au voyage à l’est, au creux des vignes et de la terre, en immersion dans cet « art de vivre bordelais » ouvert au monde incarné par le sous-titre « une saison culturelle pour regarder ailleurs ».