Ici sont explorés, D comme Dérives & I comme Interstice avec #HorsSaison, réalisé par jigsaw avec la saison culturelle de Bordeaux — à J+1237 du premier jour de la première saison, en 2017 avec Paysages puis en 2019 avec Liberté ! : une jeunesse bouillonnante qui cherche sa place dans une société à deux vitesses, les images fortes de Yan Morvan qui immortalisa le mouvement punk à Londres dans les années 1970, le livre Anarchy in the UK présenté avec l’aide de la librairie-galerie La Mauvaise Réputation en 2019 à l’Hôtel de Ragueneau ; mais encore une chronique d’Aurélien Bellanger parue la même année dans Sud-Ouest, un hommage libre à Montesquieu et un écho aux Lumières.
Mettez-vous à rire fort et franchement à propos de n’importe quel sujet, même insignifiant, en parlant avec une ou deux personnes au café, dans un salon, dans la rue ; tous ceux qui vous entendent ou vous voient rire ainsi tournent les yeux vers vous, vous regardent avec respect, se taisent, s’ils parlaient et restent comme mortifiés ; ils n’oseront jamais rire de vous ; s’ils paraissaient auparavant hardis et orgueilleux, ils perdront envers vous toute hardiesse et tout orgueil. Enfin, ce simple rire haut vous donne une supériorité décisive sur tous ceux sans exception qui se trouvent devant vous ou vous entourent. Terrible et awful est la puissance du rire ; celui qui a le courage de rire est maître d’autrui comme celui qui a le courage de mourir.
La Mauvaise réputation – Giacomo Leopardi
Lettres de Montesquieu
La liberté nous échappe, à nous qui sommes une espèce aquatique, unanime et certaine : contradictoire à la fois avec leur idée d’un dieu omniscient et celle, ultérieure, concurrente, d’une nature implacable, elle semble avoir été, pourtant, l’objet d’un culte soutenu, et l’objet presque unique de leurs conversations. Ils auraient ainsi développé des féeries appelées « systèmes politiques » pour glorifier cette liberté métaphysiquement indéfendable. Plus mystérieux encore, la politique serait le nom d’une administration commune de la multitude, d’une sorte de pré-fusion dans un organisme unitaire en tant qu’elle maximiserait l’indépendance de ceux qui le composent. C’est par la politique que les humains nous ressemblent peut-être le plus, tout en témoignant d’un irréfutable désir de continuer à être eux-mêmes : une espèce séparée et unifiée, une espèce en guerre contre elle-même mais partie à la recherche d’une unification possible.
[•••]
J’ai lu, contre la théorie qui les tient pour mensongers et vains, l’un des livres qu’ils ont le plus lu, au temps de leur gloire, un livre appelé Lettres persanes, qui raconte la venue, dans leur monde, de visiteurs lointains : c’est comme une préfiguration de la situation actuelle. Depuis quand explorons-nous cette ville, depuis quand sommes-nous devenus ces voyageurs ? Il me semble que c’était hier. Un doute terrible vient de me saisir : existions-nous seulement avant d’entreprendre ce voyage, cette odyssée archéologique ? Il se pourrait que nous venions de naître : où sont nos ruines, où est notre civilisation ? Il n’y a rien, autour de nous, avant nous – que de l’eau. Combien de temps s’est écoulé entre leur disparition et la nôtre ? Des millions d’années sans doute, mais j’ai l’impression que nous sommes le lendemain de leur extinction – la même conscience, unique et éternelle, mais la pensée d’après. L’auteur des Lettres persanes, mon prédécesseur, a-t-il existé ? Était-il – c’est ce que recouvriraient peut-être la fonction d’écrivain et la notion de fiction – l’amorce d’une conscience commune ? Le livre est précédé d’un texte explicatif, d’un certain Starobinski, qui semble aller dans ce sens : « La plupart des romanciers, à l’époque où paraissent les Lettres persanes, se font passer pour de simples éditeurs : ils arrêtent entre leurs mains des mémoires secrets, des papiers intéressants qu’ils livrent au public pour son instruction. Le roman, poursuit-il, naît de cette figure de style étrange qui consiste en “l’annulation du romancier”. » Le régime de l’ouvrage est ainsi « celui de la pluralité des consciences, de la diversité des points de vue et des convictions ».Montesquieu, l’auteur, a-t-il existé ? Là n’est donc pas la question.
✒️ Extraits de « Lettres de Montesquieu », un texte d’Aurélien Bellanger écrit dans le cadre de ses chroniques hebdomadaires, parues dans Sud Ouest en 2019
Yan Morvan, les enfants du post-punk et du pré-Thatcher
Yan Morvan est né à Paris en 1954. Il a longtemps travaillé comme photographe de guerre, parcourant le monde pour couvrir de nombreux conflits de la seconde moitié du XXe siècle, domaine dans lequel il est reconnu comme l’un des plus grands spécialistes de sa génération. C’est cependant par sa série « Gang », consacrée à la pègre et aux bas-fonds parisiens des années 1970 et 1980, que Morvan se fait connaître du grand public. Son travail sur cette série a duré près de vingt ans et a fait de lui l’un des maîtres de la photographie sociale. Il a le prix Robert-Capa en 1983, pour son travail au Liban, et deux prix du World Press Photo.
L’ouvrage Anarchy in the UK rassemble 24 photographies de Yan Morvan, issues d’une plongée photographique intense dans le mouvement « punk ». Appel radical à la liberté, ces photographies, en rarissime format cibachrome, aux couleurs vibrantes, prises à la fin des années 70 dressent une image très forte et emblématique d’un Londres en plein bouleversement, entre émeutes et conservatisme, autour d’une liberté et d’une contre-culture ayant marqué toute une génération, notamment dans le domaine musical. Elles sont les réminiscences d’une société en pleine effervescence, libre, rebelle et créative, marquant les années folles et la jeunesse bouillonnante de l’ancien monde bientôt disparu.
Qu’est-ce que Bordeaux Saison Culturelle ?
Pensées et construites comme un outil de développement et d’innovation culturelle au service du territoire, les saisons culturelles de Bordeaux s’imposent, depuis la première édition de Paysages 2017, puis à l’appel de Liberté ! 2019, comme un temps fort culturel créatif, véritable projet collectif, fondé sur des créations d’artistes en résidence, le lien avec l’ensemble des acteurs locaux, opérateurs culturels, petites et grandes institutions et la redécouverte de lieux et de territoires inexplorés. Le label Bordeaux Saison Culturelle constitue ainsi un véritable laboratoire de création fondé sur un renouveau de la politique culturelle bordelaise, articulé autour d’un récit de territoire, destiné à tous les publics.
Paysages Bordeaux 2017 explorait le tracé de la ligne à grande vitesse, à travers les itinérances esthétiques ferroviaires, dessinant une verticale du territoire du nord au sud. C’est sur la ligne horizontale plein ouest voguant librement entre l’estuaire et l’océan que Liberté ! Bordeaux 2019, se déployait. La prochaine saison culturelle 2021 sera une invitation au voyage à l’est, au creux des vignes et de la terre, en immersion dans cet « art de vivre bordelais » ouvert au monde incarné par le sous-titre « une saison culturelle pour regarder ailleurs ».