Notre-Dame-des-Landes ou le métier de vivre – édition parue aux Éditions Loco, en 2018 – est un témoignage inédit et étonnant sur les modes d’habiter expérimentés à Notre-Dame-des-Landes. Les photographies et les dessins accompagnés de textes et de récits des habitants nous rappellent que l’on trouve aujourd’hui sur la ZAD quelque chose d’aussi simple que rare : une manière courageuse et conséquente de faire face au désastre de la vie moderne et au changement climatique en cours.Notre-Dame-des-Landes ou le métier de vivre est issu d’un projet pédagogique hors les murs du DSAA (diplôme supérieur d’arts appliqués) Alternatives urbaines avec Cyrille Weiner, Patrick Bouchain, Jade Lindgaard, Christophe Laurens et Building Paris.
« Il faut rétablir une société où l’altérité et la diversité soient valorisées et encourager les gens qui les promeuvent. »
Entretien de Patrick Bouchain avec Jade Lindgaard
Extraits.
Le sociologue Henri Lefebvre disait qu’il n’y a pas de forme architecturale sans forme sociale. Quand les villageois construisaient, ils le faisaient par rapport à la topographie, à la géographie, et à leurs activités. L’architecture a toujours été le produit d’un groupe pour pouvoir habiter le territoire où il se trouve. Mais la modernité a nié cela en définissant l’habitat comme un produit, un objet reproductible et standardisé. On a parlé de « cellules » d’habitation. On a considéré que tous les individus avaient les mêmes besoins.
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Par ce qu’ils y ont construit – cabanes, sleepings, hangars de travail ou de réunion –, ils critiquent le pavillonnaire qui a été érigé tout autour, dans cette périphérie nantaise. C’est un regard critique sur la façon dont on a abîmé les villages traditionnels par des règles urbaines mal faites. Ils construisent, et, en le faisant, ils démontrent. C’est toute leur force.
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Ils construisent avec les moyens du bord, avec ce qu’ils ont. Et révèlent que oui, il est possible de construire de manière écologique aujourd’hui sur le territoire français. C’est déterminant.
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Il y a beaucoup de choses à apprendre sur ces formes de vie collective : gérer un endroit pour dormir à 6 personnes, c’est plus facile qu’une résidence de 500 personnes. Ils ont révélé la bonne échelle. Ils ont révélé la bonne échelle. Le micro fait partie du macro. Et ce micro territorial est vivable.
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Il y a beaucoup de choses à apprendre sur ces formes de vie collective : gérer un endroit pour dormir à 6 personnes, c’est plus facile qu’une résidence de 500 personnes. Ils ont révélé la bonne échelle. Ils ont révélé la bonne échelle. Le micro fait partie du macro. Et ce micro territorial est vivable.
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Ce livre sur les constructions et les formes d’habitat de la ZAD repose sur le travail d’étu- diants dans une formation d’excellence sur l’écologie et les usages du territoire, dans un lycée de banlieue. C’est très important. On n’arrête pas de dire qu’il faut changer le monde dans lequel on est, mais on ne change pas l’éducation pour aller dans un monde plus complexe.
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Il faut réapprendre tout cela : le vivant, la nature et l’habitation humaine.
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Sur la ZAD, on occupe, on habite, on expérimente, on démontre. On a une hypothèse, on passe à l’acte et après on gère.
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Il faut rétablir une société où l’altérité et la diversité soient valorisées et encourager les gens qui les promeuvent. Avec la ZAD, il y a un avant et un après.
Qui est Patrick Bouchain ?
Architecte et scénographe né en 1945, Patrick Bouchain a notamment réalisé l’aménagement du Magasin à Grenoble, le théâtre Zingaro à Aubervilliers et la Volière Dromesko à Lausanne. Associé également avec l’agence Construire, le siège de Thomson Multimédia à Boulogne-Billancourt, la transformation des anciennes usines LU à Nantes en espace culturel, la Condition Publique à Roubaix, le musée international des Arts modestes à Sète, l’Académie Fratellini à Saint-Denis et la scène nationale du Channel à Calais dans les anciens abattoirs. Pionnier du réaménagement de lieux industriels en espaces culturels, son activité s’est axée sur les arts du spectacle, la mobilité et l’éphémère. Foncièrement anticonformiste, il pratique avec l’agence Construire (Loïc Julienne) une architecture « HQH » (Haute Qualité Humaine), développant les chantiers ouverts au public, véritables actes culturels, la remise en question permanente des normes en valorisant la maîtrise d’usage, cœur de tout projet. Son activité s’oriente depuis 2009 vers l’application de ces expériences pour proposer des manières alternatives à la production d’habitat social dans plusieurs villes. Il a collaboré avec de nombreux artistes contemporains dont Daniel Buren, Sarkis, Ange Leccia, Joseph Kosuth, Claes Oldenbourg et Jean-Luc Vilmouth.
Dans le cadre de l’édition, Patrick Bouchain s’est entretenu avec Jade Lindgaard. Journaliste à Mediapart, Jade Lindgaard travaille sur le climat, les grands projets d’infrastructures et les mouvements qui s’y opposent. Elle est l’auteure de plusieurs livres et a récemment coordonné Éloge des mauvaises herbes. Ce que nous devons à la ZAD (Les Liens qui libèrent, 2018).
Qu’est-ce que le DSAA Alternatives urbaines ?
Le DSAA (diplôme supérieur d’arts appliqués) Alternatives urbaines est un master de design qui prépare les étudiants aux métiers de l’architecture, du paysage et de la scénographie en se donnant pour ambition de participer activement à l’émergence de quelques urbanités alternatives. Il amène ces étudiants concepteurs à s’interroger sur des dispositifs spatiaux et relationnels permettant aux usagers de construire de nouvelles autonomies à l’échelle du voisinage, de la rue ou du quartier. Guidé par quelques notions fortes telles que la convivialité et l’autonomie, la qualité constructive de l’architecture, l’équité et la diversité sociale, l’attention portée aux milieux et la sobriété énergétique, le DSAA Alternatives urbaines explore des manières délicates d’habiter la surface de la Terre qui prennent au sérieux le réchauffement climatique en cours et ses conséquences.
Qui est Cyrille Weiner ?
À partir d’enquêtes précises menées sur les lieux, de type documentaire, Cyrille Weiner pose de façon récurrente la question de l’espace – notamment dans ses marges et ses lieux de transformation. Se demandant obstinément comment les individus peuvent investir leurs lieux de vie, à distance des directives venues « d’en haut », l’artiste quitte peu à peu le seul registre documentaire pour proposer un univers traversé par la fiction, qu’il met en scène dans des expositions, des projets éditoriaux et des installations. Né en 1976, il est l’auteur de Twice (Éditions 19/80) et de La Fabrique du pré (Éditions Filigranes).