La rame est bondée. Une foule se presse sur les quais de la gare et des trains de banlieues passent “comme dans un film”. En 1960, Maurice Pialat filme avec L’amour existe la banlieue parisienne dans une approche qui oscille entre l’évocation sentimentale et l’analyse tant sociale que politique. S’il évoque dès les premiers plans le mouvement pendulaire entre Paris et sa banlieue c’est afin de mettre en lumière la vie périphérique et incarner un horizon mental fait d’arrêt intermédiaires et de lignes de bus.
« Longtemps j’ai habité la banlieue, mon premier souvenir est un souvenir de banlieue… »
Le regard que porte Maurice Pialat sur la banlieue est intime. La voix off avec un accent presque proustien évoque un passé d’avant la deuxième guerre mondiale et un territoire en pleine mutation autant aux mains de politiques publiques que de promoteurs privés. Désabusé par les disparités de richesse, marqué par une éducation au chant patriotique il note scrupuleusement les mutations en cours. On reconnaît Courbevoie, Pantin, Aubervilliers, Vincennes… Si le réalisateur ne rentre jamais dans le détail ou l’étude de cas, il va d’est en ouest sur les chantiers des villes nouvelles et partout où arrive les changements. La géologie même du bassin parisien en est affectée ; la capitale apparaît cernée par ses faubourgs et ses bidonvilles.
« La banlieue triste qui s’ennuie. Défilait morne sous la pluie… »
En citant Piaf, Maurice Pialat revient sur l’image négative que l’on a de la banlieue ; morne parce que pauvre, pauvre parce qu’ouvrière. Le constat qu’il déroule en suivant une logique comptable est édifiant. A côté des plans d’urbanismes qui réduisent la ville à des questions de voiries, il épingle d’une même voix caustique la politique pavillonnaire individualiste des “petites maisons”, des “petits jardins” et des courtes vues que les grands ensembles. Il pointe la ségrégation sociale à l’œuvre dans ces bâtiments dont les matériaux pauvres sont dégradés avant la fin des travaux et s’interroge sur ce qui fait ville et communauté indépendamment des murs. Des boîtes aux lettres alignées par numéro témoignent d’un rapport déshumanisé aux habitants.
« Le paysage étant généralement ingrat, on va jusqu’à supprimer les fenêtres. Puisqu’il n’y a rien à voir. »
Avec les chantiers, les espaces verts se réduisent et le regard aveugle d’une cuisine traduit la vision pessimiste d’un réalisateur. L’image de l’Arc de Triomphe qui d’un angle à l’autre des champs Elysées peut montrer un bras victorieux ou une main implorante livre une leçon de cadrage autant que de cinéma. En 1960, Pialat n’a encore jamais réalisé de long métrage mais les convictions qu’il affiche détonnent dans un documentaire si bien construit. Récompensé par le prix Lumière et le lion de Saint Marc en 1961, il s’agit aussi d’une déclaration d’amour. Dans un paysage sans établissement culturel, il rend hommage aux cinémas de quartier comme à autant de fenêtres. Appuyé par la musique nostalgique de Georges Delerue, il nous amène à méditer sur la disparition du studio de Méliès à Montreuil. Quelles sont les fabriques à rêves qui peuvent encore créer du commun ?
Qui est Maurice Pialat ?
La première passion de Maurice Pialat fut la peinture. Il gardera un rapport intime avec cet art (qu’il met en scène dans Van Gogh), même s’il cesse de peindre à partir du moment où il commence à tourner. S’il aimait à se décrire comme autodidacte, il n’en est rien. Maurice Pialat est passé par les écoles des Arts Décoratifs, puis par les Beaux-Arts de Paris. Suite à ces apprentissages il tente d’exposer, sans succès et vit de petits boulots (visiteur médical, représentant pour diverses sociétés…). En 1951, il achète une caméra et tourne quelques courts-métrages en amateur (Isabelle aux Dombes, Drôles de Bobines, tourné en 1957 ou L’Ombre Familière, en 1958…). En 1960, une commande le conduit à filmer en Turquie une série de courts-métrages, qui marqueront le début sa carrière cinématographique. En 1964, il participe comme technicien au moyen-métrage d’Henry Zaphiratos, Des Enfants Sages. En 1968, à 43 ans, il tourne son premier long-métrage de fiction, L’Enfance Nue. En 1972, au Festival de Cannes, il déclare : « Ce qui est grave dans le cinéma, c’est qu’il n’a jamais fait de progrès. Le premier film était le meilleur… Il y avait déjà tout. » En 1978, il se fait remarquer par la critique et la jeunesse pour un film polémique, Passe ton bac d’abord. En 1980, il débute sa collaboration avec Gérard Depardieu avec Loulou. Le film est un succès critique et commercial. En 1985, il réalise Police avec Sophie Marceau, Gérard Depardieu et Richard Anconina, d’après un scénario de Catherine Breillat, deuxième collaboration avec Gérard Depardieu qui se sentira toujours proche de ce réalisateur atypique. Il reçoit la Palme d’Or au Festival de Cannes 1987 pour Sous le Soleil de Satan. Sous les sifflets d’une partie de la salle qui aurait voulu voir le prix adressé au film Les Ailes du Désir de Wim Wenders, il dresse le poing et lâche : « Si vous ne m’aimez pas, je peux vous dire que je ne vous aime pas non plus. »