Alors que la friche ferroviaire dite « Chapelle Charbon » commence sa mutation en parc urbain, Voi[e.x.s] est une création musicale et scénique in situ unique initiée en 2017 pour célébrer avec les habitants la mémoire et le futur de ce lieu en commun, hors du commun. Pendant et après le réaménagement, les acteurs du projet transmettent ensemble les mouvements qui naissent du site et des récoltes, font résonner les prénoms des habitants avec l’architecture et la nature alentour pour en cueillir la mémoire et participer à sa mutation.
Créé par Alexandra Lacroix – de la Cie MPDA, la compositrice Marta Gentilucci – de l’IRCAM, et suivi et analysé par le centre de recherche Theatrum Mundi, Voi[e.x.s] s’inscrit sur un temps long comme création de savoirs ainsi que d’experiences sensibles. Il accompagne la transformation du site pour atteindre son acmé lors du premier printemps du parc transformé. Au fil des mois et jusqu’en mai 2021, de nouveaux ateliers et enregistrements sont organisés, pour contribuer à la création d’une œuvre scénique et musicale originale. En mai 2021, elle prendra toute son ampleur et résonnera dans l’immensité de l’espace nouvellement créé.
🎚 Conception et production : Cie MPDA – Alexandra Lacroix, direction artistique, François Rougier, collaboration au projet
Interprétation : Ensemble AEDES – Mathieu Romano, directeur musical, performeu.r.se.s : Agathe Peyrat, Laura Holm, Lauriane Gaudois, Florient Thioux, Pierre Barret-Mémy et Sorin Dumitrascu
Recherche et co-production : Theatrum Mundi – John Bingham-Hall, dir. Theatrum Mundi et Dimitri Szuter, architecte et performeur
Participation des habitants : Vivre au 93 Chapelle, ENS de Paris, Centre social Espace Torcy, Halte d’accueil d’urgence des migrants de l’Armée du Salut, Centre de loisirs Charles Hermite, Ecoles maternelles Tchaïkovski et Torcy
Support technique, résidences : IRCAM, Théâtre l’Etoile du Nord, Carreau du Temple, Mains d’Oeuvres, ARCAL
Partenaires financeurs : Fondation Orange, DRAC Île-de-France, Région Île-de-France, Caisse des dépôts et Consignations, SPEDIDAM, Ville de Paris, Mairie du 18e, TAKTYK, Reciprocity Design Liège, Fondation Evens.
Prendre conscience de l’architecture, de soi et des autres
En septembre 2020, a lieu la troisième expérimentation après celles de juin 2018 dans la friche et celle de Nuit Blanche 2019 au coeur du chantier. L’équipe de création intègre l’ensemble de chanteu.r.se.s lyriques Aedes à la recherche. Ils et elles expérimentent l’écoute de l’espace, des sons et des corps avec les 6 chanteurs et chanteuses sur le plateau de l’Etoile du Nord qui les accueille en résidence, puis au coeur du nouveau Parc Chapelle Charbon ouvert depuis quelques semaines. Les chanteurs, chanteuses, et leur chef Mathieu Romano déchiffrent la partition de Marta Gentilucci et les dynamiques de la dramaturgie conçue par Alexandra Lacroix sur les premières pages de la partition et du livret. Ils et elles se familiarisent avec le futur lieu de création, découvrent les spécificités acoustiques de cet espace en plein air, sous canopée. Ils l’arpentent avec la danseuse Ghislaine Louveau pour se l’approprier. Ils et elles grimpent dans les structures en bois, pincent les cordes, frottent le sol mou de l’aire de jeux, ramassent des bouts de bois et d’autres trouvailles inédites : peau d’orange, plastique, pierre, noyau de pêche, feuille morte, ficelle. Sous le porche de la plateforme, ils font de ses souvenirs un autel éphémère, le témoin de leur exploration urbaine. Les objets seront un terreau d’inspiration pour Alexandra, qui va créer une scénographie amplifiée à partir de certains éléments collectés.
Pour ces nouveaux arrivants dans l’aventure, prise de conscience des enjeux d’une création en lien direct avec un site, son quartier, ses habitants. La phase finale de création est lancée !
Voi[e.x.s]
« Défendre une proposition artistique dans un monde où elle n’est pas nécessaire. »
Extraits de l’entretien entre John Bingham-Hall – dir. Theatrum Mundi, Alexandra Lacroix – metteuse en scène, directrice artistique et Marta Gentilucci – compositrice.
John Bingham-Hall — Une partie du défi consiste à amener quelque chose dans l’espace public. Pour Theatrum Mundi, ce projet s’inscrit dans une réflexion plus large sur le son comme matériau, comment il s’utilise et est créé, et comment les techniques performatives, les techniques de composition, pourraient enrichir l’urbanisme. Comment pensez-vous que Chapelle Charbon, dans son espace et son évolution, vous a influencées dans le travail que vous faites ?
Alexandra Lacroix — Il faut être très clair dans notre démarche. Lorsque nous faisons quelque chose au théâtre ou dans un autre lieu culturel, les gens s’attendent à ce que l’on fasse une pièce artistique. Mais dans l’espace public, ce n’est pas évident. Personne n’a d’attente particulière en terme artistique, il faut changer d’attitude. Défendre une proposition artistique dans un monde où elle n’est pas nécessaire.
John Bingham-Hall — Il y a beaucoup plus de concurrence de l’attention dans l’espace public. Pas seulement en termes de cadre immédiat de la représentation, mais il y a différentes choses en compétition pour prendre l’espace, pour avoir le droit d’être là. Un théâtre crée un vide destiné à être comblé, alors qu’une ville, ou du moins son espace public, est toujours plein, en un sens. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous avons été si stimulés par la Chapelle Charbon en tant qu’espace : il était vraiment vide, à part un petit groupe de personnes que nous avons rencontré et qui y vivait.
Alexandra Lacroix — Dans la ville, il n’y a pas vraiment d’endroit pour s’exprimer ni d’espace pour faire une proposition artistique. On doit le faire exister par nous-même. Identifier les besoins des rues, les besoins des gens, des urbanistes, et trouver un moyen de dire: « Oui, il est important d’avoir ce dialogue artistique avec vous ».
Marta Gentilucci — Chapelle Charbon est une sorte d’immense terrain de jeu avec peu d’instruments, mais de nombreuses possibilités sonores. C’est pourquoi il faut tant de temps, tant de visites et d’enregistrements pour se faire une idée de cet immense instrument qu’est le parc.
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« Faire communauté par une expérience sensorielle partagée. »
Marta Gentilucci — Je pense également qu’il y a une question que nous devons nous poser : devons-nous essayer de déterminer qui est le public, et travailler avec ce public à l’esprit ? Ou devons-nous développer la nécessité de notre travail – la nécessité artistique, sociale, urbanistique – de l’intérieur, pour elle-même – en essayant ensuite de lui donner un « extérieur », en analysant la réaction du public ? Ici, ce n’est pas simplement : « OK, je fais ceci et cela, c’est une pièce, c’est écrit, puis on la joue » – ce n’est pas comme s’il y avait une partition définitive que les autres interprètent ensuite. Nous l’interprétons tout le temps, de différentes manières.
John Bingham-Hall — En d’autres termes, sommes-nous en train de dire qu’une communauté existe déjà pour cette pièce ? Ou allons-nous créer un public ?
Marta Gentilucci — Je pense qu’il y a une troisième voie : nous ne créons pas de communauté, mais nous en faisons déjà partie. Être là pour faire le projet et la performance ne crée pas quelque chose que l’autre remplira de sa présence ; nous faisons déjà partie de cette communauté. Nous sommes créateurs et spectateurs à la fois, depuis le tout début.
John Bingham-Hall — Il existe déjà des liens distendus entre les personnes qui habitent à côté de ce site, sa communauté potentielle. Cela donne un certain niveau de connexion, nous sommes progressivement en train de faire évoluer cette communauté potentielle en une communauté réelle via une expérience sensorielle intensifiée et partagée. C’est l’idée de Jacques Rancière avec la communauté de sens, qui émerge dans un espace. Une communauté peut ne pas être liée par autre chose que la même expérience sensorielle qu’elle vit à ce moment-là.
Alexandra Lacroix — C’est un espace vide et c’est une bonne chose, je pense, car il n’y a aucune attente. C’est un nouvel espace pour les habitants et pour nous. Donc, la seule connexion est d’être là en même temps, faire quelque chose de nouveau là-bas.
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Qui est Theatrum Mundi ?
Theatrum Mundi est un centre de recherche indépendant basé à Londres et à Paris, qui vise à développer l’artisanat de la ville grâce à la collaboration entre artistes et urbanistes. Theatrum Mundi mène des recherches et des projets créatifs qui stimulent une nouvelle réflexion sur la façon dont le design urbain façonne la manière de vivre les villes. Voi[e.x.s] est l’un des nombreux projets actuellement en cours, chacun prenant plusieurs formes, notamment des ateliers, des commandes, des expositions, des recherches, des conférences, des performances et des publications.
Voi[e.x.s] est la première implication de Theatrum Mundi dans la création d’une nouvelle œuvre artistique majeure. Le projet a été initié par l’équipe à partir des échanges et des expériences qui ont eu lieu pendant un série d’ateliers organisée par Theatrum Mundi comme partie de la chaire Villes Globales à la Fondation Maison des sciences de l’homme, avec le soutien du CGET, à partir de juin 2016 jusqu’à mai 2017. Theatrum Mundi organise des rencontres académiques en partenariat avec la MSH Paris-Nord, l’EHESS et la Colombia University en parallèle du travail de création, et documente tout le processus.
Pour Theatrum Mundi, le projet représente une opportunité d’étudier les idées soulevées dans le projet Sonic Urbanism : Que peuvent nous apprendre les processus de composition sur le design urbain? Comment l’architecture façonne-t-elle la musique? Quel rôle la performance peut-elle jouer dans la vie sociale de la ville ?
Theatrum Mundi
Qui est Alexandra Lacroix ?
Alexandra Lacroix est metteuse en scène et scénographe (diplômée de l’ENSAD Paris). En 2007, elle cofonde la Compagnie de théâtre musical MPDA dont elle est la directrice artistique. Elle y recherche une nouvelle façon d’appréhender l’espace et le public en questionnant le rapport scène/salle, en favorisant une interprétation incarnée et une proximité avec le public. Elle a mis en scène et scénographié 22 spectacles dont 15 musicaux, notamment Be my superstar a contemporary tragedy à LOD Muziektheater, Les Illuminations de Britten au Centquatre avec l’Orchestre de chambre de Paris, L’Arlésienne à l’Opéra Comique avec l’Orchestre de chambre Pelléas, ou encore La Chatte métamorphosée en femme au Musée d’Orsay.
Depuis 2018, elle assure la direction artistique de Voi[e.x.s], projet de création lyrique in situ mené avec la complicité de Marta Gentilucci et de l’IRCAM, elle coordonne également toutes les actions de terrain et de sensibilisation ainsi que la récolte de tous les enregistrements de prénoms des habitants qui seront utilisés dans la composition. Elle accompagne ainsi la mutation de la friche ferroviaire Chapelle Charbon via des performances lyriques in situ en relation avec l’architecture et les habitants du quartier de La Chapelle.
La performance est un dispositif immersif conçu comme un flux continu dans lequel le visiteur s’inscrit au gré de sa curiosité. Les chanteurs et performeurs laissent une empreinte de leur passage, de leurs explorations, de leurs interactions. La trame auditive et physique des déplacements crée un réseau de rencontres et inscrit un nouvel usage ; une mémoire vivante à la mémoire du lieu.
Alexandra Lacroix
Qui est Marta Gentilucci ?
Soprano de formation, Marta Gentilucci suit d’abord un master en littérature anglaise et allemande, puis étudie la composition au conservatoire de Florence. De 2009 à 2011, elle participe au Cursus de l’Ircam. Elle est titulaire d’un doctorat de composition de l’université de Harvard. Elle a mené différents projets de recherche artistique sur la voix chantée à Berlin, à Paris, et récemment, elle a reçu des commandes pour des créations avec électronique et voix de l’Expermentalstudio SWR Freiburg (2018), et pour l’écriture de deux nouvelles pièces crées durant le Festival MANIFESTE 2020 (Paris).
Elle écrit de la musique acoustique et électroacoustique. Elle s’intéresse particulièrement à la musique vocale et à son lien avec la technologie, ainsi qu’aux différentes possibilités de construire des espaces sonores, acoustiques ou virtuels à travers les hautparleurs. Son besoin artistique profond est de créer un espace musical où la musique et les sons ne sont pas perçus seulement comme une construction intellectuelle, mais ils provoquent également une sensation physique.
Le projet collaboratif Voi[e.x.s] Chapelle Charbon a permis d’explorer les possibilités d’un lieu apparemment inhospitalier et presque vide, et de magnifier la richesses acoustique et les multiples facettes sonores du lieu. À travers des enregistrements, des éléments présents sur le site avant et pendant la démolition, les expérimentations vocales lors des ateliers, se crée un lien entre le purement sonore / acoustique et le musical, en l’entremêlant avec la voix parlée et chantée.
Marta Gentilucci