Barbara Lerbut explore la notion de morphologie
Barbara Lerbut est responsable de la programmation et de la production de La Condition Publique à Roubaix – tiers lieu culturel et artistique, laboratoire créatif de la ville. L’équipe et ses partenaires construisent, à l’année, des ponts et tissent des liens pour promouvoir les arts sous toutes leurs formes, au-coeur du bâtiment réhabilité en 2004 par Patrick Bouchain et dans les rues – le quartier du Pile en particulier. Intégrée pleinement à la 1ère édition d’URBX Festival, La Condition Publique est un terrain de jeux, un outil et une plateforme des possibles pour accompagner et renouveler les cultures urbaines au coeur de la société, de l’intime et du collectif. Au quotidien, créer les conditions de collaborations entre les disciplines artistiques, les habitant•e•s, les artistes, les chercheur·se·s, et les créateur·rice·s de tous bords. Un vaste programme vibrant où la morphologie de la ville – ici notamment explorée – est prise en compte et intervient pleinement dans la création, celle de Roubaix, de la métropole en connexion en continu, avec le monde entier. Un entretien mené par Horya Makhlouf pour jigsaw • bitume.
Une série d’entretiens pour décrypter les cultures urbaines
I Love RBX aka l’Office de Tourisme de Roubaix décrypte les composantes remarquables car uniques de Roubaix et invite – avec jigsaw : l’équipe et les partenaires d’URBX Festival à explorer & à décrypter les cultures urbaines. À travers une série de notions et d’entretiens inhérents qui traversent, composent & propulsent la vitalité + l’alternativité de la création urbaine de Roubaix, se déployant depuis plus de 3 décennies et encore plus intensément très prochainement : à l’occasion de la 1ère édition d’URBX Festival.
« La ville est une source d’inspiration perpétuelle. À Roubaix, il y a une énergie vraiment créatrice. On entend parler de nouvelles initiatives toutes les semaines, de nouveaux artistes qui s’installent ou qui viennent en visite. »
Le Théâtre du Nord ou encore le Manège de Maubeuge et aujourd’hui : La Condition Publique. Tu sembles très attachée au Nord de la France et, depuis quatre ans, à Roubaix en particulier. Que t’apporte l’expérience au quotidien de la ville ? Que permettent de créer cette énergie et créativité si singulières (dont on nous a beaucoup parlé lors de nos deux précédents entretiens), pour toi d’abord, et pour la Condition Publique ?
Barbara Lerbut – Je trouve qu’il y a des similitudes dans mon parcours, surtout entre Maubeuge et Roubaix, parce que ce sont des villes qui ont souffert – et souffrent encore parfois – d’une mauvaise image. Pour autant, la culture, dans l’une comme dans l’autre, est vraiment centrale. Pour moi ce qui définit Roubaix, comme Maubeuge, c’est vraiment la culture et la créativité.
C’est à Maubeuge qu’on a vu naître, sous l’impulsion de Didier Fusilier, qui en a été le directeur, toutes les idées qui ont donné ensuite Lille 2004- Capitale européenne de la culture , puis les éditions biennales de lille3000. Les parades et cette notion de fête qui imprègne le territoire culturel des Hauts-de-France – et de la métropole lilloise en particulier – ont été des marqueurs forts. J’ai pu observer cela en restant sept ans à Maubeuge, mais j’y ai aussi expérimenté le lien très fort du Nord avec Mons, en Belgique, qui a été également capitale européenne de la culture, et dont les activités culturelles sont très soutenues par Interreg. Mon poste, par exemple, m’a permis de construire cette culture très forte du transfrontalier.
La créativité et l’énergie des villes du nord sont très liées, selon moi, au fait qu’elles sont un peu imprégnées de la culture belge. En habitant ici, on prend ce pli d’aller facilement voir une exposition à Bruxelles ou un spectacle à Gand, d’aller faire les boutiques à Courtrai… Tout ça a infusé en moi, depuis toute petite d’ailleurs puisque je suis née dans la région.
Et puis, il y a aussi une convivialité très forte. On s’installe à une table de bistrot parce qu’il reste deux places en bout de table mais on finit forcément par avoir de grandes discussions avec ses voisins. Dans chaque café : on retrouve toujours cette grande convivialité typique des villes du nord. Des personnes et des personnalités différentes s’y croisent car il n’y a pas beaucoup de cafés dans certains coins… Ce type d’endroits permet de faire se rencontrer différentes personnes, qui viennent de milieux très variés.
Au-sein d’une institution culturelle, au-coeur de Roubaix, je trouve que la ville est une source d’inspiration perpétuelle. À Roubaix, il y a une énergie vraiment créatrice. On entend parler de nouvelles initiatives toutes les semaines, de nouveaux artistes qui s’installent ou qui viennent en visite. Il faut – à la fois – apprivoiser cette énergie, apprendre à connaître tous ces réseaux et toutes ces initiatives, et, en même temps, en profiter pour créer des liens et saisir des possibilités de collaboration, qui s’avèrent vite infinies.
« « On plante, comme une petite graine qui ensuite germe parce qu’elle montre à tou·te·s que peuvent se déployer des « choses » dans la ville, de manière pérenne. »
Comment La Condition Publique se tient-elle à jour de toutes ces nouvelles initiatives qui se déploient à Roubaix ? Et comment entretient-elle ses liens avec des artistes qui habitent déjà à Roubaix et celles et ceux qui viennent s’y installer ?
BL – La Condition Publique est en quelque sorte : un carrefour. Elle héberge une communauté créative, avec des gens qui s’y installent en permanence, et le plus souvent des artistes. Depuis quelques temps, par exemple, on accueille RESCO et Mr VOul. Leur installation dans notre lieu permet à la Condition Publique d’accueillir de nouveaux réseaux d’artistes vers lesquels celles et ceux accueilli·e·s en résidence nous emmènent, avec lesquels des croisements se font tout naturellement, par des discussions, des rencontres par hasard et des échanges autour de projets.
Il y a aussi la Halle C à la Condition Publique, où de nombreux artistes viennent créer des choses ou travailler dans le lieu et qui, de la même façon, nous présentent de nouvelles personnes.
Il y a des initiatives comme URBX Festival, dans le cadre desquelles des comités se regroupent, des communautés se retrouvent et des échanges se créent avec toutes les structures culturelles de la ville. Donc, c’est assez facile d’échanger sur les nouvelles initiatives qui se déploient d’un côté ou de l’autre.
Par ailleurs, sur l’implication de La Condition Publique dans la ville : ce n’est pas le cas de toutes les institutions culturelles, mais ici, Jean-Christophe Levassor – son directeur – défend fortement le fait qu’on puisse être un levier de développement pour le territoire. C’est pourquoi on multiplie des initiatives qui peuvent permettre aux différentes politiques menées d’intégrer des projets artistiques. C’est ce qui s’est passé autour du canal de Roubaix, par exemple. L’endroit autour était plutôt délaissé par les habitant•e•s, et même un peu glauque. On a commencé à investir le quartier par de petites actions, puis par un festival : Pile au RDV. Au fur et à mesure des éditions, le format s’est enrichi, avec pas mal d’associations, d’architectes et de designers notamment. Cette démarche a donné lieu à de nombreuses réflexions plus profondes autour du quartier et y a lancé des impulsions. La ville souhaite aujourd’hui créer un parc autour du canal, une guinguette s’y est installée, par exemple…
Il y a des initiatives comme celle-ci que nous portons, avec lesquelles on plante, comme une petite graine qui ensuite germe parce qu’elle montre à tou·te·s que peuvent se déployer des « choses » dans la ville, de manière pérenne. C’est cette vision d’une institution bien ancrée dans son territoire que nous défendons. On invite en ce sens des artistes en résidence à travailler sur des problématiques qui sont liées à la géographie ou au territoire. Nous accueillons en ce moment Arthur Chiron par exemple, un jeune artiste qui travaille à identifier les bornes kilométriques qui jalonnaient le canal et qu’il cherche à remettre au goût du jour pour re-raconter leur histoire, et s’emparer de cette géographie liée au passé industriel de Roubaix.
Nous voulons réfléchir aux moyens que peut développer une institution culturelle pour, par de l’événementiel et de l’éphémère, montrer le territoire dans lequel elle s’inscrit et les changements pérennes potentiels inhérents.
« On invite des artistes en résidence à travailler sur des problématiques qui sont liées à la géographie ou au territoire. »
Vous invitez – en tant qu’institution – à découvrir un panorama renouvelé des arts urbains sans frontière ou à participer des formats renouvelés de rencontres entre publics et artistes dans la ville – avec le festival annuel Pile au RDV ou Labo 148, un laboratoire d’expérimentation à la lisière entre pratiques artistiques et journalistiques par exemple. Dans les derniers entretiens, on nous a parlé d’une certaine opposition qui pouvait exister dans la manière d’appréhender les arts urbains du côté institutionnel et du côté associatif. Qu’en penses-tu de ton côté ?
BL – Ce n’est pas une question facile parce que, déjà, qu’entend-on par « arts urbains » ? Certains vont y voir du street-art uniquement ; nous on y intègre aussi des expérimentations dans l’espace public. C’est ce qu’on promeut autour de Urbain.es – l’exposition présentée actuellement –, avec des interventions comme celle de Saype, qui peint à la peinture écologique sur du gazon, ou encore de Robert Montgomery, qui écrit des poèmes éclairés sur des panneaux extérieurs, un peu à la manière d’une fête foraine. Ce sont des interventions dans l’espace public, qui relèvent pour moi de l’art urbain, dans le sens où elles font se déployer l’art dans la ville. À la Condition Publique, c’est ce qu’on expérimente et ce qu’on entend par « arts urbains » : l’art dans l’espace public en général.
Pour en revenir à la question, personnellement je ne crois pas trop aux oppositions en général. Je pense plutôt qu’il y a des contraintes qui sont liées aux institutions et peut-être moins aux associations. L’enjeu principal est de savoir comment on compose avec des contraintes quand on est une institution, tout en dialoguant avec les artistes et en ouvrant la porte à la créativité et à la liberté d’expression. Je pense que La Condition Publique a un vrai rôle de plateforme, de « plaque-tournante ». Nous faisons en sorte de laisser beaucoup d’associations nous proposer des projets et nous gardons nos portes ouvertes aussi bien aux initiatives déployées par des artistes et des acteurs locaux qu’à des projets plus nationaux ou internationaux. En accueillant en parallèle toutes ces échelles de projets, nous espérons aussi réussir à aider des initiatives de proximité.
Par exemple, avec Latitudes Contemporaines, un festival de la région Hauts-de-France, la Condition Publique accueille une œuvre de Kubra Khademi, une artiste afghane exilée en France – qui a par ailleurs fait la couverture du festival d’Avignon cette année. Elle a déjà expérimenté un projet précis qu’elle veut désormais appliquer sur le territoire de Roubaix : il consiste à sélectionner des plaques de rue dans l’espace public environnant qui portent des noms d’hommes et à les remplacer par des noms de femmes militantes afghanes. Elle nous a donc fourni une liste de onze femmes – journalistes, artistes, poétesses, etc. – dont elle a émaillé les noms sur des plaques à installer autour de La Condition Publique. C’est notre rôle, en tant qu’établissement public, de pouvoir accueillir des projets comme celui-ci et de faire accepter ces idées – qu’il nous faut expliquer aux instances politiques et municipales, pour pouvoir ensuite lever les contraintes, les craintes, et ainsi avancer sur des sujets, qui sont parfois délicats ou très engagés.
Les contraintes, qu’on soit une association ou une institution : on en a tous. La question au-delà, c’est de savoir comment on travaille ensemble à faire valoir la créativité, et laisser la place aux artistes dans l’espace public.
« Pour Pile au RDV, on crée des comités de pilotage où sont invités tous les partenaires du quartier du Pile et dans lesquels peuvent se retrouver des gens de la Maison de l’eau et de la Pêche, du centre social, d’une école de proximité ou encore une habitante habituée à participer régulièrement au projet… »
C’est ce que vous faites aussi avec le festival Pile au RDV. Avec ce projet, comme dans vos actions de manière générale, l’enjeu principal semble tourner autour de la pratique collective : avec les artistes, avec les habitant•e•s, avec les équipes de la Condition Publique… Comment pratiquez-vous cela au quotidien ?
BL – Si je suis en lien avec énormément de partenaires pour nourrir la programmation de la Condition Publique, celle-ci est le fruit d’une étroite collaboration avec mes collègues du service innovation sociale et, bien sûr, avec la direction. C’est toujours un travail collectif, dont je suis ici la porte-parole mais qui est vraiment fait en collaboration – et pas seulement avec l’équipe d’ailleurs, avec les habitant•e•s et partenaires du quartier.
Pour Pile au RDV, on a des comités de pilotage où sont invités tous les partenaires du quartier du Pile et dans lesquels peuvent se retrouver des gens de la Maison de l’eau et de la Pêche, du centre social, d’une école de proximité ou encore une habitante habituée à participer régulièrement au projet… Ces comités de pilotage, qui se retrouvent tous les mois ou mois et demi, font se rassembler à chaque fois 60 à 70 personnes, qui réfléchissent ensemble au format du festival. Ils peuvent répondre à des questions comme « que souhaite t’on manger le midi ou le soir ? » ou « est-ce que l’on va vers une programmation davantage de cirque ou d’arts visuels ? » En fait, tout est mis sur la table et discuté. Evidemment, cela se fait en fonction des moyens qui sont mis à notre disposition mais nous essayons de tout penser ensemble. Et ce peut être aussi simplement une question de plannings, que l’on acte ensemble en posant des questions comme : « Peut-on mettre des offres pour les centres de loisirs le matin par exemple ? », « Comment accueillir ces groupes précisément ? », etc.
Toutes ces interrogations sont abordées en comité de pilotage. Ensuite, La Condition Publique lance un appel à projets auquel les habitant•e•s peuvent répondre pour mener des ateliers ou proposer une installation artistique. On a reçu une cinquantaine de réponses à l’appel à projets pour Pile au RDV 2022. Quasiment toutes ont été sélectionnées. On va ainsi accueillir des ateliers d’écriture avec le Labo des Histoires autour de la BD, des ateliers massages, des ateliers de confection végétale… Les propositions sont très variées, et tout le monde y participe, à plus ou moins grande échelle. Dans tous les cas, toutes celles & tous ceux qui veulent participer trouvent une place dans ce rendez-vous.
« Il nous est arrivé d’assister à des spectacles avec les habitant·e·s qui, ensuite pouvaient en parler et programmer ensemble ceux qu’ils avaient le plus aimés. »
La programmation artistique est-elle aussi mise en partage ? Ou la Condition Publique reste-t-elle seule à décider ?
BL – Avec Pile au RDV, il nous est arrivé d’assister à des spectacles avec les habitant•e•s qui, ensuite pouvaient en parler et programmer ensemble ceux qu’ils avaient le plus aimés. La programmation participative est un concept qui me plaît beaucoup, et j’aimerais vraiment qu’on puisse aller vers ça de plus en plus, mais c’est vrai que cela nécessite beaucoup d’anticipation… La programmation est tout de même déjà bien partagée. En ce sens, on travaille aussi avec des partenaires culturels de la ville comme La Cave aux Poètes ou Le Couvent de la Visitation – qui est aussi situé sur le Canal –, avec lesquels, le premier week-end, on déploie une programmation musicale. Éric Rigollaud et le B.A.R. sont impliqués sur une visite menée par une artiste dans le quartier du Pile, où elle invite les publics à se promener en écoutant des histoires. On travaille aussi avec le Groupe A, qui accueille des résidences d’artistes et d’urbanisme à l’Union, un autre quartier de Roubaix et avec lesquels on mène des parcours artistiques. Les partenaires de La Condition Publique sont à la fois des partenaires sociaux, économiques et même sportifs, comme Parkour 59, mais aussi culturels. Et c’est tout ce pilotage qui crée le foisonnement autour de Pile au RDV.
En tant que responsable de la programmation, ça nécessite de lâcher prise aussi sur une ligne artistique bien définie ou un propos à défendre. Ce qu’on défend en fait avant tout, c’est la mise en valeur des initiatives du Pile.
« Créer les conditions de la rencontre, et des opportunités qui laisseront à la créativité la place de se déployer, et peut-être plus encore. »
Tu sembles très attachée à l’idée d’échanges et de mise en commun des propositions et des expériences. Comment dialoguent la culture qui se développe et se renouvelle ici en continu avec celles issues d’autres villes et métropoles dans le monde – que La Condition Publique invite lors de ses différentes Saisons ?
BL – Il s’agit toujours de créer les conditions de la rencontre, et des opportunités qui laisseront à la créativité la place de se déployer, et peut-être plus, encore. J’aimerais évoquer deux exemples pour illustrer cela.
Dans le cadre d’Africa 2020 d’abord, La Condition Publique a été un « quartier général » – qu’on a appelé « quartier généreux » – de la Saison culturelle nationale, parmi la dizaine de structures choisies en France. La collaboration avec Africa 2020 a duré plusieurs mois. Elle était très intéressante et, encore, à double sens et a constitué la marque d’une forte reconnaissance nationale et internationale. On a ainsi accueilli un collectif d’artistes du Ghana en résidence, qui a pu s’immerger dans la culture roubaisienne et les différents programmes de la Condition Publique. Kwasi Ohene-Ayeh, qui est critique d’art au Ghana et où il fait partie du collectif Exit Frame nous a été présenté par Ngoné Fall, la commissaire de la Saison. Il a intégré le Labo 148. En rejoignant cette structure et en échangeant avec les jeunes qui la côtoient autour du média à la Condition Publique, il les a accompagnés dans l’invitation à des journalistes et à des échanges avec eux sur des problématiques de l’Afrique contemporaine en général. Ces collaborations avec Kwasi ou encore Anne Bocandé – qui est journaliste et qui était aussi en résidence en 2020 – ont suscité de riches échanges, et ont produit des écrits, des interviews, et d’autres formes. Ça a été le cas aussi avec Bernard Akoi-Jackson, la tête pensante du collectif Exit Frame qui a pour habitude de faire des processions au Ghana. Grâce à lui, on a pu faire un parallèle avec les défilés que mène à Roubaix, depuis quelques années,le collectif Anti_Fashion — programmé d’ailleurs dans URBX Festival. Ça a créé un lien formidable entre le collectif, les défilés qu’ils ont l’habitude d’organiser et la culture de la procession ghanéenne : le tout à Roubaix. Ce dialogue a permis de créer une magnifique parade d’ouverture du festival URBX, cette année.
Un autre exemple que je voulais évoquer était le projet qu’on a mené à Bordeaux, en 2019 . À l’époque, il y avait des saisons culturelles estivales dans la ville et nous avons été invité à participer à leur programmation. On a ainsi organisé un casting pour Raphaëlle Boîtel, qui travaillait alors sur une création inédite pour l’Opéra de Bordeaux, dans laquelle des jeunes de l’association roubaisienne Parkour 59 ont participé. On a créé cette rencontre entre une grande artiste circassienne et des jeunes qui ont une pratique sportive et libre sur la ville, et qui se sont ainsi retrouvés à intégrer le monde du cirque.
La Condition Publique a un rôle de facilitateur en fait, qui permet de créer ce genre de beaux moments.
« C’est en multipliant les initiatives que l’on va rayonner nous-mêmes, faire rayonner le Pile et ouvrir le quartier sur l’extérieur, et l’extérieur sur le quartier. »
Nous avons parlé de la manière dont la Condition Publique observe les nouvelles pratiques artistiques, mais quid des habitant•e•s ? Comment identifie-t-elle les besoins de la ville et de ses habitant·e·s ? Comment ménage-t-elle les différentes échelles de diffusion entre le quartier du Pile, la ville de Roubaix au sens large, la métropole, le rayonnement national et même international ?
BL – La Condition Publique au cœur du Pile n’est pas juste un lieu de diffusion artistique mais aussi un lieu où il y a beaucoup de transmission. Jean-Christophe Levassor a l’habitude de dire qu’on peut y entrer par une porte ou une autre : celles du FabLab, de la Communauté Créative, de la halle d’exposition, des concerts le vendredi soir, des repairs cafés, de la halle de bricolage et de la construction sont ouvertes à tout le monde… En multipliant les entrées de notre rue couverte, on multiplie aussi les possibilités de rencontres et de publics différents. Au cœur du Pile, on n’est ainsi pas que la « grosse » institution culturelle mais aussi un lieu de convivialité où les gens viennent vivre quelque chose.
En fait, le lieu est un outil, dont chacun peut venir s’emparer du lieu et avec lequel faire des choses, d’où que les gens viennent. Avec la ville, on multiplie aussi les initiatives : avec URBX Festival par exemple, on est à l’initiative de projets invités, qu’il s’agisse de Mindset ou des Afro Live Parties : ce sont des événements qui sont là pour promouvoir la culture afro et la danse, et qui vont prendre une ampleur belle et forte dans le territoire roubaisien.
Ensuite, ce sont des questions de flux et de circulations. Comment raccorde-t-on la Condition Publique avec son environnement proche et avec la ville en général ? Deux exemples : le parcours d’art dans le Pile, qui s’étend jusqu’au Canal – Canal qui lui-même nous emmène jusqu’à l’Union d’un côté, ou la Belgique de l’autre ; et la fresque de Ana Barriga produite avec McArthurGlen qui nous permet de tisser un lien avec Eurotéléport et l’un des pôles d’attraction de la ville. des initiatives comme celle que nous sommes en train de créer avec le McArthurGlen. C’est en multipliant ces initiatives que l’on va rayonner nous-mêmes, faire rayonner le Pile et ouvrir le quartier sur l’extérieur, et l’extérieur sur le quartier.
« L’artiste (Feda Wardak) arrive à poser des questions autour de l’eau en l’envisageant comme un vrai bien commun, et à susciter l’adhésion de ses publics et des habitants des villes où il s’installe en posant des questions aussi pratiques que celle de la filtration. »
On va le voir et le vivre intensément dans les prochains jours, avec la 1ère édition d’URBX festival : la ville est un terrain des possibles illimité pour déployer les arts de manière collective. Vous travaillez avec Feda Wardak autour du Canal de Roubaix ; avec YesWeCamp, vous aviez pris de la hauteur pour une expérience de camping sur les toits de La Condition Publique. Quelles sont les formes et les points de vue sur la ville – au sens large – et sur Roubaix – en particulier – qui vous inspirent et stimulent vos envies de créer, d’accompagner et de transformer ?
BL – Le projet au long cours la Condition Publique est de composer un véritable laboratoire, qui allie art et innovation sociale. C’est pour cela que chaque saison a une thématique différente. Avec Habitarium et la résidence de YesWeCamp, on a travaillé sur la question de l’habitat, que l’on a interrogée par le prisme artistique, en invitant des regards un peu décalés à se poser sur la notion, comme ceux d’artistes et de journalistes.
Chaque saison est donc traversée par une thématique sociétale, qui permet de concevoir les multiples visages de la ville. Avec Feda Wardak, on a abordé une question sociétale essentielle : celle de l’eau. Que fait-on de l’eau ? Quel est son trajet ? Comment la ville de Roubaix a-t-elle créé un canal pour le transport du textile ? C’est cette motivation industrielle qui a poussé à créer le canal et a fini par forger la géographie-même de la ville, et c’est cela qu’on a excavé avec l’artiste. On a eu beaucoup de débats sur cette question avec lui. C’est pour ce genre de rencontres aussi que c’est amusant de travailler à La Condition Publique, car on y apprend sur tous les domaines. Depuis que je suis là, j’apprends sur les écluses, sur la gestion de l’eau métropolitaine, sur la filtration, sur un étang, au nord de Roubaix – où l’eau est baignable alors que c’est à cinq kilomètres de Roubaix, où on n’imagine pas du tout se baigner dans l’eau du canal… Les résidences d’artistes nous amènent à nous poser des questions que l’on n’aurait jamais imaginé se poser, et à transmettre des connaissances, en permettant aussi aux publics de se former, en tant que citoyens, à des questions urbaines.
À Clichy-Montfermeil, pour les Ateliers Médicis, Feda Wardak avait pour projet de remettre en visibilité un courant d’eau qui a été complètement refermé par la ville, et oublié par ses habitants, pour créer des grands ensembles. À Saint-Denis, il a réussi à faire boire l’eau du canal à ses habitants, en mettant en place un système de filtration. L’artiste arrive à poser ces questions autour de l’eau en l’envisageant comme un vrai bien commun, et à susciter l’adhésion de ses publics et des habitants des villes où il s’installe en posant des questions aussi pratiques que celle de la filtration. En prenant l’eau du canal, il fait aussi une analogie de son circuit et montre comment elle remonte, comment elle est déviée par endroits, reconduite à d’autres… Il en fait une métaphore tangible en prenant cette eau dans un aqueduc, avant de la relâcher après l’avoir filtrée. Au-delà du côté esthétique de la démarche, il y a beaucoup de questions citoyennes que cela pose.
La Condition Publique est un véritable laboratoire justement en cela, puisqu’elle permet de faire se connecter tous les domaines de la connaissance par le biais de l’art.
« Montrer la richesse et la diversité de la langue dans une ville comme Roubaix – qui accueille beaucoup de nationalités et de communautés – et de mettre en valeur cette richesse et ces rencontres. »
La Condition Publique est un lieu phare de Roubaix réhabilité par Patrick Bouchain, devenu symbolique de la métamorphose de la ville, ancré dans son histoire et totalement vivant, pensant le futur à partir du présent, avec ses habitant·e·s. Au-delà des rues qui restent des ateliers de création à ciel ouvert : qu’apportent des lieux ou des énergies plus institutionnalisés au déploiement et à la structuration des cultures urbaines ?
BL – Il y a plusieurs réponses à cette question mais avant tout, je ne crois pas qu’on puisse parler de la Condition Publique comme institution. Nos moyens humains et financiers (au regard de l’ampleur du lieu et de nos missions) restent de ceux qui nous obligent à composer chaque jour avec les contraintes, à trouver des solutions non institutionnelles. S’agissant de notre apport aux cultures urbaines, nous faisons en sorte de leur faire une vraie place dans la programmation mais sans en faire notre spécialité. Elles dialoguent ici sur un pied d’égalité avec d’autres formes que d’aucuns pourraient juger conventionnelles. Aussi quand on accueille des artistes d’arts urbains dans la Communauté Créative que l’on héberge et dans nos Laboratoires, on participe aussi à leur structuration et à leur déploiement dans le territoire roubaisien.
Notre rôle passe enfin aussi par de l’accompagnement de production : c’est du travail que l’on voit moins mais qui est très présent au quotidien et qui est essentiel. Je pense à Mindset ou Anti_Fashion par exemple. On aide vraiment à penser les conditions pratiques de réalisation d’un événement. On accompagne les artistes sur des questions de budget ou de production ; on étudie avec eux pour qu’ils puissent imaginer des événements réalisables. On met à disposition nos connaissances pratiques, administratives et cette expertise que l’on a développée au fur et à mesure des actions, pour aider des projets émergents à se structurer.
Ce sont toutes ces choses ensemble qui font que La Condition Publique participe au déploiement et à la structuration des initiatives culturelles et urbaines qui l’entourent.
« Des moments avec URBX Festival où de jeunes talents roubaisiens viennent s’exprimer et qui promettent d’être riches en émotions. »
De nombreux rendez-vous d’URBX Festival sont donc à retrouver à La Condition Publique, on parcourt l’agenda ?
BL – Le festival traverse toutes les questions et réponses évoquées au-cours de cet entretien. On y retrouve les projets de collaboration que j’ai décrits et dont j’ai donné les coulisses, dont on verra la concrétisation ce mois de juin ! Il y aura le défilé d’Anti_Fashion (le 18 juin), la conférence sur l’entreprenariat sportif avec Parkour 59 (le 17 juin), l’Afro Live Party avec l’artiste Hiro (le 15 juin), le Bal Roller Disco avec Wawa l’asso (le 19 juin) et puis l’Open Mic de Mindset (le 24 juin) qui sont des moments où de jeunes talents roubaisiens viennent s’exprimer au Beau Repaire de la Condition Publique et qui promettent d’être riches en émotions. Ce sont des moments très forts aussi pour donne une visibilité à de jeunes artistes émergents de Roubaix et d’ailleurs à travers notre action à La Condition Publique, dans le cadre de cette 1ère édition d’URBX Festival.
Qu’est-ce qu’URBX Festival ?
Depuis 2015, le rendez-vous annuel Expériences Urbaines a accueilli à Roubaix plusieurs grands noms des cultures urbaines qui ont fait la ville et ont participé à son rayonnement : Brahim Bouchelaghem, Marion Motin, JonOne, 13Blocks… Auxquels s’ajoutent des artistes nationaux et internationaux tels que Jef Aérosol, C215, Ola Volo ou Emmanuel Unaji. Pour prolonger le succès grandissant de ce projet, l’association Cultures Urbaines Roubaix, avec le soutien de la ville de Roubaix, présente URBX Festival à Roubaix et en métropole lilloise du 15 au 26 juin 2022. La programmation d’URBX Festival a été orchestrée par un comité artistique constitué notamment des partenaires culturels historiques de la ville : La Cave aux Poètes, La Condition Publique, Le Bureau d’Art et de Recherche, ESMOD, Anti_Fashion Project, Parkour59, Le Ballet du Nord « CCN&vous ! », la Cie Zarhbat, le Flow.
Qu’est-ce qu’I Love Roubaix ?
I Love Roubaix est le signal de ralliement de l’Office de Tourisme de Roubaix qui fédère et rassemble les amoureux•ses d’une ville cosmopolite, bouillonnante, attachante, qui se dévoile à qui se donne la peine de l’écouter et la regarder. Une ville à l’état brut, qui a su tirer parti de ses richesses passées pour en créer de nouvelles dans l’air du temps, et de son patrimoine industriel foisonnant pour se réinventer en destination touristique. Roubaix, c’est aussi une ville où s’invente le monde de demain, avec le déploiement renouvelé exceptionnel des cultures urbaines à chaque croisement de rues et un engagement autour de la démarche Zéro Déchet, qui mobilise tous les acteurs de la cité. Roubaix et son incontournable musée La Piscine, c’est aussi, dans l’imaginaire collectif, la ville indissociable de Paris-Roubaix.