Comprendre et appréhender l’architecture de la Terre grâce à la fiction. La Terre est une architecture est un programme de recherche initié en 2015 par le bureau d’architecture et d’urbanisme TVK qui pose un regard critique autant que prospectif sur les modes d’aménagement terrestres actuels, qui accaparent toujours plus la surface de la Terre mais porte aussi une approche inédite de l’écologie. En 2021, TVK est invité par Hashim Sarkis à la 17ème exposition internationale d’architecture – La Biennale di Venezia à présenter les résultats de cette recherche : une installation monumentale et un livre éponyme. Ces deux formats fonctionnent comme un diptyque où concepts et figures se répondent.
« L’architecture est la forme qui sans cesse émerge du corps à corps des vivants avec les matières terrestres. L’architecture est une Terre »
En tant qu’architectes nous explorons de nouvelles représentations pour appréhender l’animation de la Terre et pouvoir la prendre en compte dans nos projets architecturaux et urbains. La Terre se forme et se transforme en permanence – en particulier la fine pellicule qui occupe les 15 derniers kilomètres des 6 371 moyens de son rayon.
Pierre Alain Trévelo & Antoine Viger-Kohler, fondateurs de TVK
L’installation conçue par TVK pour la Biennale de Venise est une fiction géo-morphologique : une modélisation qui donne à voir en trois dimensions la forme d’un monde fictif où l’enchevêtrement des infrastructures avec le sol est rendu visible. Inspirés par des situations réelles, les lignes, surfaces, volumes, construisent les fragments d’un ensemble d’archipels habités transformant le sol et participant à l’apparition d’une nouvelle couche géologique en formation. L’architecture de cette Terre fictive émerge de cet ensemble sédimentaire où s’entremêlent roches, terres, résidus organiques et artefacts humains.
« Depuis la nuit des temps, dans les mythologies, les géants et les géantes œuvrent à la construction de la Terre et de ses paysages »
L’étude de cet enchevêtrement et de ses métamorphoses permanentes est l’objet de la géomorphologie. Depuis l’antiquité, et probablement même avant, les peuples humains ont cherché à comprendre l’architecture de la Terre. L’intuition des puissances naturelles qui animent la Terre se retrouve dans les mythologies où des êtres surnaturels, les géants et les géantes, œuvrent à la construction de la Terre et de ses paysages.
Ils séparent les éléments et déplacent les astres. Ils soulèvent ou remuent les sols, creusent les lacs, assèchent les marais. Ils font couler les rivières et pousser les forêts, gronder les volcans et se dresser les montagnes.
Extrait de La Terre est une architecture / The Earth is an architecture, 2021
Les scientifiques arpenteurs des XVIIe et XVIIIe siècle, qu’ils soient naturalistes comme Sybilla Merian, Alexander von Humboldt ou Karl von Linné ou géologues comme James Hutton ou Horace-Bénédict de Saussure, ont ensuite posé les bases de la géomorphologie moderne. Ils ont inventé les instruments de mesure et de représentation des métamorphoses du sol, de l’eau, de l’atmosphère et des êtres vivants, qui participent ensemble à la transformation permanente de la Terre. À tous ces processus en interaction, s’ajoute aujourd’hui l’étude de l’action des êtres humains qui ont acquis une force prépondérante dans la transformation de la planète. Si l’architecture humaine est devenue un sujet d’étude pour les scientifiques historiquement tournées vers la « nature », en tant qu’architectes nous nous intéressons aux questions de morphologie terrestre sans lesquelles il n’est plus possible de construire des architectures. L’architecture est une Terre. La Terre est une architecture.
« Le sol est la région commune du monde, l’infrastructure primaire et inappropriable, le soubassement partagé »
La Terre fictive présentée à la Biennale se découpe en cinq « continents », quatre régions terrestres et une région océanique, caractérisés par des infrastructures spécifiques en référence à des lieux réels du monde entier : les plateaux Rwandais, la Vallée du Nil, les plaines désertiques d’Oman, les étendues désertiques d’Arabie saoudite, les chaines de montagnes d’Iran, les coteaux agricoles du Missouri et du Dakota, les rizières du sud de la Chine, les forêts d’Amazonie et les prairies et savanes inondables le long de la côte atlantique brésilienne, les côtes maritimes normandes, l’archipel d’Okinawa, les sols marécageux des îles javanaises, les volcans hawaïens, les vastes plateaux et fjords d’Islande, la vallée centrale de Californie et les chaînes côtières du Pacifique, les plaines plates du Sri Lanka, les hauts plateaux et massifs éthiopiens, la chaîne de volcans du massif central, le désert libyen, les vastes plateaux soudanais, les méandres des marais kényans, les chaînes alpines péri-téthysiennes, les terres basses et falaises du Pays de Galles, les massifs et canyons escarpés éthiopiens, les plaines alluviales et le delta du Mekong.
La modélisation met l’accent sur les formes mais aussi sur la composition des sols, en s’appuyant sur des fragments de cartes géologiques de ces différentes parties du monde. Ce vaste collage fait écho aux travaux du Congrès Géologique International créé à Paris en 1878 qui a œuvré dès 1913 à établir une cartographie de l’ensemble des terres émergées en rassemblant les connaissances des différents pays du monde. La constitution de cet atlas initié par les puissances occidentales est étroitement liée à leur histoire coloniale, et à la mise en place d’un système mondialisé d’extraction des ressources du sous-sol de la Terre qui a un effet direct sur les bouleversements climatiques qui nous inquiètent aujourd’hui.
L’épaisseur de cette Terre fictive, montre la structure géologique du sous-sol qui abrite les précieuses matières fossiles et les minerais, et rappelle cette volonté de maîtrise de la terre qui a concentré les efforts scientifiques jusqu’à nos jours. La surface de l’installation, tramée par des infrastructures qui ont reconfiguré la composition chimique et biologique des sols, renvoie quant à elle à la compréhension contemporaine du sol. Depuis quelques années, les scientifiques du monde entier, outillés de radars, ou arpentant les friches urbaines comme les naturalistes de jadis, s’attachent à décrire les parties superficielles de la croûte terrestre où s’enchevêtrent la majorité des êtres vivants. Où l’impact de l’humain et les réactions de la Terre à cette empreinte sont les plus palpables. Pour qu’humains et non humains puissent continuer à vivre ensemble sur Terre, l’architecture doit être pensée non comme un aménagement/occupation mais comme une émergence de ce sol, la région commune et inappropriable du monde.
« Une fiction qui arpente le monde dont nous héritons pour renouveler notre attachement à la Terre »
L’oeuvre volontairement ambigüe, à la fois familière et étrange, scientifique et poétique. Elle reprend les codes de la modélisation géomorphologique, notamment le code couleur des cartes de géologies, mais recompose un monde imaginaire par la juxtaposition et l’accumulation d’une multitudes de situations géographiques et infrastructurelles. Plusieurs échelles viennent se télescoper afin de rendre sensible en un seul objet la sédimentation des différentes temporalités que condense l’architecture terrestre, agençant sans cesse des matières issues d’une myriade de processus dont certains sont infiniment longs, tandis que d’autres sont perceptibles en un jour ou une année.
Chaque édifice est une montagne, un éperon, une dépression, un pli, une fosse. Chaque ville est un massif, un bassin ou une vallée. Chaque construction est une part du monde. L’architecture possède une vaillance interne d’ordre tellurique, une nécessité géologique. Elle émerge du sol.
Extrait de La Terre est une architecture / The Earth is an architecture, 2021
La fiction rend ainsi compte du monde dont nous héritons pour en révéler les structures élémentaires et immuables, les archétypes qui constituent les armatures des formes à venir semblant pourtant avoir toujours existé. Elle contribue, par-là, à énoncer les règles et récits d’une architecture qui renouvelle son attachement à la Terre. L’architecture est une Terre.
Qu’est-ce que La Terre est une architecture ?
À l’occasion de la 17ème exposition internationale d’architecture – La Biennale di Venezia, TVK est invité à présenter les résultats d’un programme de recherche initié depuis 2015, lors de l’exposition La Terre est une architecture à la Cité de l’architecture et du patrimoine à Paris – à travers l’exposition d’une installation monumentale accompagnée d’un livre éponyme. Par ce programme de recherche, TVK pose un regard critique autant que prospectif sur les modes d’aménagement terrestres actuels, qui accaparent toujours plus la surface de la Terre.
L’installation présentée à Venise et le livre La Terre est une architecture / The Earth is architecture inversent cette tendance pour montrer le sol comme une région commune du monde, une infrastructure primaire et inaliénable, un soubassement partagé. Elle porte une approche inédite de l’écologie. La Terre n’est plus le décor fixe et naturel de l’architecture humaine, mais un corps continuellement formé et transformé par les actions et réactions de tous ceux qui, vivants ou non-vivants, l’animent. Les humains sont une des puissances majeures qui participent au vaste chantier commun des matières et des vivants. L’architecture doit être pensé à partir de cette position d’interdépendance : elle n’est plus simplement posée sur la Terre, elle est la mise en forme permanente du monde.
Qui est TVK ?
TVK est un bureau international d’architecture et d’urbanisme créé à Paris en 2003 par Pierre Alain Trévelo et Antoine Viger-Kohler. Formés à Paris et à Harvard, ils poursuivent une démarche où théorie et pratique se répondent et s’enrichissent mutuellement. Leur objectif est de s’emparer de la complexité et du caractère paradoxal de la situation terrestre contemporaine, pour la rendre habitable.
TVK compte parmi les agences françaises les plus reconnues tant en France qu’à l’international (Palmarès des Jeunes Urbanistes en 2005, Nouveaux Albums des Jeunes Architectes en 2006) avec notamment le réaménagement de la Place de la République à Paris en 2013, la transformation de l’autoroute E40 à Bruxelles, le réaménagement de la Place de la Gare à Lausanne, l’étude de définition des principes de conception des espaces publics autour des gares du futur métro du Grand Paris Express…