Explorer les relations complexes et extraordinaires entre l’architecture et la Terre à travers le concept d’infrastructure : une médiation entre les projets humains et notre planète.
La Terre est une architecture est un programme de recherche initié en 2015 par le bureau d’architecture et d’urbanisme TVK qui pose un regard critique autant que prospectif sur les modes d’aménagement terrestres actuels, qui accaparent toujours plus la surface de la Terre mais porte aussi une approche inédite de l’écologie. En 2021, TVK est invité par Hashim Sarkis à la 17ème exposition internationale d’architecture – La Biennale di Venezia à présenter les résultats de cette recherche : une installation monumentale et un livre éponyme. Ces deux formats fonctionnent comme un diptyque où concepts et figures se répondent.
« L’architecture est la forme qui sans cesse émerge du corps à corps des vivants avec les matières terrestres. L’ architecture est une Terre. »
En parallèle de la présentation de l’installation éponyme à Venise, le livre sonde l’histoire de la Terre afin de recharger la théorie architecturale. Le titre du livre rapproche volontairement deux termes souvent pensés comme opposés – la Terre et l’architecture – pour essayer de les penser ensemble. Construit comme une épopée, il explore les relations complexes et extraordinaires de l’architecture et de la Terre grâce au concept d’infrastructure compris comme une médiation entre les projets humains et la Terre.
La Terre tremble, craque, s’effondre, éructe, tempête, tourbillonne, son épiderme transpire ou se dessèche, s’échauffe ou refroidit, grouille ou se dépeuple. Face aux humeurs incessantes de leur environnement, les êtres vivants n’ont d’autre choix que d’aménager leurs mondes. Tous développent des techniques pour pallier leur inadéquation et réussir à habiter le ciel, les terres et les mers. Inlassablement, ils ingèrent, altèrent, transmutent, déplacent ou organisent les particules élémentaires de l’univers. Ce faisant, la foule des vivants s’entremêle et construit la Terre.
Extrait de La Terre est une architecture / The Earth is an architecture, 2021
Le point de départ de la réflexion de TVK a été de mettre la définition de l’architecture en conformité avec ce qui définit aujourd’hui la Terre. Depuis plusieurs décennies déjà anthropologues, scientifiques, photographes et artistes arpentent le monde dont nous héritons pour comprendre l’enchevêtrement des humains avec la Terre. Leurs travaux participent à construire une position nouvelle des sociétés humaines comme des puissances agissantes au sein de la nature et non plus extérieures à un environnement qu’elles pourraient contrôler et exploiter à volonté. Prendre acte de cette interdépendance oblige à repenser la définition de l’architecture et de la ville non plus comme la « chose humaine par excellence » comme a pu l’affirmer Aldo Rossi empruntant les mots de Claude Lévi-Strauss, mais plutôt comme un phénomène terrestre.
« L’architecture écoute les volontés des matières, des vivants et des artefacts, et cherche, dans la confrontation des contraires, à formuler le programme d’un usage commun du monde. Elle est d’utilité commune. »
L’objectif de La Terre est une architecture / The Earth is an architecture — qui parcourt les siècles pour relire les transformations successives du monde mises en œuvre par les sociétés humaines — n’est pas de juger cet héritage. Inspiré par les travaux de penseurs contemporains comme Philippe Descola, Donna Haraway, Tim Ingold, Bruno Latour ou Anna Tsing, l’ouvrage cherche plutôt à montrer, comment les groupes humains n’ont cessé d’interpréter le monde pour pouvoir le transformer, s’enchevêtrant par la même toujours plus avec les autres puissances terrestres. Et comment, ce faisant, ils ont pris une part toujours plus importante dans les échanges de matières et d’énergies qui se forment continuellement à la charnière des cieux, des eaux et des sols.Pouvoir continuer à faire de l’architecture aujourd’hui, dans le contexte des crises multiples qui assaillent la Terre et mettent en cause notre capacité à y survivre, nécessite d’accepter que le programme de l’architecture ne se limite pas à la seule satisfaction des besoins humains. Que ce soit pour abriter un individu ou nourrir une société, les projets de transformation de la Terre doivent prendre en compte les mouvements de la foule des vivants, mais aussi ceux des matières terrestres, les craquements du sol et les écoulements des eaux, les remous du ciel, tout en gardant conscience de l’imprévisibilité du monde.
Chaque édifice est une montagne, un éperon, une dépression, un pli, une fosse. Chaque ville est un massif, un bassin ou une vallée. Chaque construction est une part du monde. L’architecture possède une vaillance interne d’ordre tellurique, une nécessité géologique. Elle émerge du sol.
Extrait de La Terre est une architecture / The Earth is an architecture, 2021
« Dans tous les cas, l’infrastructure matérialise ces coalitions complexes entre groupes humains et puissances terrestres. »
L’infrastructure naît de la rencontre (des forces) de la Terre et (de l’effort collectif) des groupes humains, elle incarne le lien entre un site et un programme. Bien plus qu’un objet technique au service des humains on peut la penser comme une médiation entre les sociétés et la Terre, un agent fondamental de l’enchevêtrement, sa manifestation première en somme. L’architecture émerge de l’infrastructure participant alors de ce nouveau rapport au monde.
La construction d’infrastructures résulte autant d’actes de coopération que de compétition. Complicités, interdépendances, échanges et négociations se conjuguent avec dominations, colonisations, exploitations et violences. Dans tous les cas, l’infrastructure matérialise ces coalitions complexes entre groupes humains et puissances terrestres.
Extrait de La Terre est une architecture / The Earth is an architecture, 2021
Le livre en cinq chapitres
Les mythes se mêlent à l’histoire à travers cinq intrigues continentales où se nouent les liens des sociétés humaines avec cinq puissances terrestres : le ciel, la mer, les matières/le sol, les vivants et l’énergie. Les cinq chapitres sont situés dans des réalités géographiques différentes (l’empire-continent chinois, la Méditerranée, le bassin sédimentaire anglo-parisien, le continent américain et la ceinture de feu du Pacifique) qui se rejoignent sous l’effet de la mondialisation. Ils sont autant de regards sur l’épopée de l’infrastructure et montrent l’évolution des relations entre humains et la Terre à travers l’imaginaire des géants.
Les géants : médiateurs entre les hommes et le monde
Les géants sont les médiateurs entre les hommes et le monde. Leur gigantisme n’est pas lié à leur taille mais à leur capacité réelle ou fictive de reconfigurer le monde. Présents dans les mythologies ancestrales, ils ne cessent de renaître sous des formes nouvelles.
Les géants sont des enfants de la Terre, nés de l’esprit humain : des médiateurs entre les humains et les autres puissances terrestres.
Extrait de La Terre est une architecture / The Earth is an architecture, 2021
Le charançon – insecte nuisible – a ravagé à la fin du XIXème siècle les champs de coton nord-américain obligeant ainsi à une diversfication des modes de cultures.
D’un nuisible ravageur, le charançon est devenu l’ordonnateur d’une nouvelle cohabitation des vivants, glorifié pour son action de destruction créatrice. Insoumis, il est un géant minuscule qui engendre de profondes transformations et installe de nouveaux équilibres. Car le gigantisme est anti-hiérarchique : au bout d’un certain temps, il déjoue l’ordre dominant.
Extrait de La Terre est une architecture / The Earth is an architecture, 2021
Godzilla – géant cinématographique – personnalise dans l’imaginaire japonais la puissance nucléaire et ses ravages sur les villes.
Godzilla est un géant particulier, qui agit contre la phobie. Il est la figure qui tient à distance la catastrophe potentielle : en incarnant le mal lié à l’énergie nucléaire, il permet de maîtriser la peur qui en découle. Il est le réceptacle d’une force paradoxale, puissamment destructrice autant que créatrice de nouvelles infrastructures.
Extrait de La Terre est une architecture / The Earth is an architecture, 2021
Arpenter le monde pour explorer de nouvelles manières d’habiter la Terre
En conclusion du livre, la fiction arpente le monde dont nous héritons pour ouvrir de nouvelles possibilités d’attachement au monde. L’architecture entretient ainsi des rapports étroits avec la fiction. La dérive des « Polders » explore de nouvelles configurations territoriales comme autant de manière d’habiter la Terre.
Le polder est enfin concrètement méditerranéen, une continuité entre l’Afrique et l’Europe, un sol continu et flottant qui s’adapte à la montée des eaux et au nouveau régime climatique.
Extrait de La Terre est une architecture / The Earth is an architecture, 2021
Une iconographie riche entremêlant documents historiques, imaginaire commun ou encore photographie contemporaine. Elle n’a pas vocation à seulement illustrer le texte mais bien de situer les intrigues dans un imaginaire commun, dans une géographie sensible.
Qu’est-ce que « La Terre est une architecture ? »
À l’occasion de la 17ème exposition internationale d’architecture – La Biennale di Venezia, TVK est invité à présenter les résultats d’un programme de recherche initié depuis 2015, lors de l’exposition La Terre est une architecture à la Cité de l’architecture et du patrimoine à Paris – à travers l’exposition d’une installation monumentale accompagnée d’un livre éponyme. Par ce programme de recherche, TVK pose un regard critique autant que prospectif sur les modes d’aménagement terrestres actuels, qui accaparent toujours plus la surface de la Terre.
L’installation présentée à Venise et le livre La Terre est une architecture / The Earth is an architecture inversent cette tendance pour montrer le sol comme une région commune du monde, une infrastructure primaire et inaliénable, un soubassement partagé. Elle porte une approche inédite de l’écologie. La Terre n’est plus le décor fixe et naturel de l’architecture humaine, mais un corps continuellement formé et transformé par les actions et réactions de tous ceux qui, vivants ou non-vivants, l’animent. Les humains sont une des puissances majeures qui participent au vaste chantier commun des matières et des vivants. L’architecture doit être pensé à partir de cette position d’interdépendance : elle n’est plus simplement posée sur la Terre, elle est la mise en forme permanente du monde.
Qui est TVK ?
TVK est un bureau international d’architecture et d’urbanisme créé à Paris en 2003 par Pierre Alain Trévelo et Antoine Viger-Kohler. Formés à Paris et à Harvard, ils poursuivent une démarche où théorie et pratique se répondent et s’enrichissent mutuellement. Leur objectif est de s’emparer de la complexité et du caractère paradoxal de la situation terrestre contemporaine, pour la rendre habitable.
TVK compte parmi les agences françaises les plus reconnues tant en France qu’à l’international (Palmarès des Jeunes Urbanistes en 2005, Nouveaux Albums des Jeunes Architectes en 2006) avec notamment le réaménagement de la Place de la République à Paris en 2013, la transformation de l’autoroute E40 à Bruxelles, le réaménagement de la Place de la Gare à Lausanne, l’étude de définition des principes de conception des espaces publics autour des gares du futur métro du Grand Paris Express…