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Une réflexion philosophique et poétique autour de l’éther avec June Balthazard & Pierre Pauze

Les artistes June Balthazard et Pierre Pauze ont conçu MASS, une installation sculpturale et vidéo, qui prend pour point de départ une découverte scientifique et l’explore depuis le prisme de la spiritualité et de l’art. Il s’agit du Boson de Higgs également appelé La particule de Dieu.

June Balthazard et Pierre Pauze, MASS (still), 2020. Installation vidéo, matériaux composites, tailles variables. Œuvre commandée par Hermès Horloger, Bienne, Suisse – Avril 2020 © June Balthazard et Pierre Pauze

Une réflexion philosophique et poétique autour de l’éther

En 2012, dans des laboratoires de haute technologie comme celui du CERN à Genève, la physique quantique a mis en lumière le champ de Higgs, un champ de particules omniprésent dans l’univers. À l’échelle de l’infiniment petit, le vide n’est pas vide. Il fourmille de particules éphémères en perpétuelle création et dissolution. Il est rempli de champs d’énergie électromagnétique. En plus d’éclaircir certains mystères liés aux origines de l’univers, cette découverte a ranimé une notion très ancienne et semble réhabiliter l’existence d’une forme d’énergie rappelant ses propriétés : l’éther. 

L’éther est une substance mystérieuse, décrite dans de nombreux mythes de création. Cette matière primordiale, tissu de l’univers, imprégnerait et unifierait toute chose. La notion, présente à la fois dans le champ de la spiritualité et de la science, semblait jusqu’alors être tombée en désuétude. Il existe une résurgence de ce symbole dans les récits contemporains des origines, élaborés par les scientifiques. La croyance en une substance omniprésente, reliant l’homme à la nature, trouve un nouveau souffle dans le contexte actuel de crise écologique. Le phénomène n’est pas délié de l’engouement que rencontrent les spiritualités orientales, qui mettent l’accent sur l’unité, l’harmonie et l’interdépendance de tous les phénomènes.

June Balthazard et Pierre Pauze, MASS (still), 2020. Installation vidéo, matériaux composites, tailles variables. Œuvre commandée par Hermès Horloger, Bienne, Suisse – Avril 2020 © June Balthazard et Pierre Pauze

Une création à l’intersection de la science et de la spiritualité

Le projet d’installation MASS est né du désir d’allier nos deux singularités. Nos domaines de prédilection s’inscrivent respectivement dans le champ de l’art contemporain et du cinéma. Nous nous sommes rencontrés au Fresnoy, où nous avons travaillé sur le projet de l’autre, révélant la complémentarité de nos approches et de nos compétences. Dans notre travail, nous confrontons tous deux des éléments documentaires à des formes plus éloignées du réel (fiction, animation, effets spéciaux…). Nous détournons également une parole scientifique, pour la déplacer sur un terrain plus philosophique ou poétique. À travers un dispositif sculptural, nous voulons donner une présence visuelle à l’éther, cette substance invisible. La sculpture sera une sorte de décor, entre une maquette, au sein de laquelle nous reproduirons des éléments de la nature et un laboratoire, dans lequel nous pourrons animer de la matière grâce à des ondes. Nous tournerons une vidéo au sein de ce décor, qui reprendra les étapes d’un mythe de création. En rejouant un mythe de création au sein de ce décor biomimétique, nous voulons créer une sorte de cosmos, de monde surréaliste, que les protagonistes d’une seconde vidéo semblent habiter. Ce théâtre optique, entre un laboratoire et un lieu rituel, générera des formes presque magiques. Nous comprenons pourquoi l’existence d’une substance primordiale fascine les poètes et les philosophes depuis la nuit des temps. Nous voulons que cette force poétique émane de l’installation. Nous aborderons autant les questions pérennes qu’elle soulève que sa réappropriation contemporaine liée à la crise écologique.

June Balthazard et Pierre Pauze
June Balthazard et Pierre Pauze, MASS (still), 2020. Installation vidéo, matériaux composites, tailles variables. Œuvre commandée par Hermès Horloger, Bienne, Suisse – Avril 2020 © June Balthazard et Pierre Pauze

Trois récits croisés et fragmentés

L’installation sculpturale et vidéo MASS de June Balthazard et Pierre Pauze met en dialogue une vidéo documentaire, une sculpture et une vidéo tournée au sein de la sculpture. Dans la vidéo documentaire, les artistes tisseront un récit fragmenté autour de trois protagonistes, pour qui le monde a une autre matérialité. Tous trois considèrent qu’il est empli d’une substance invisible et vibratoire, qui relie l’homme à la nature dans un contexte de bouleversements écologiques. Le premier est un ermite qui vit dans le Morvan. Il voue son existence à la recherche d’une énergie transcendante et divine. Le second est marchand d’art. Il garde dans les caves troglodytes de son château des bassins liés au Temple du roi Salomon. Selon lui, ces bassins lui permettraient d’entrer en connexion avec le cosmos, c’est-à-dire une énergie omniprésente et invisible. Enfin, la dernière est physicienne au CERN. Elle a été responsable du groupe de recherche qui a fait la découverte du Boson de Higgs. Le récit se situera à la lisière entre le documentaire et la fable métaphysique.

June Balthazard et Pierre Pauze, MASS (still), 2020. Installation vidéo, matériaux composites, tailles variables. Œuvre commandée par Hermès Horloger, Bienne, Suisse – Avril 2020 © June Balthazard et Pierre Pauze

Première mondiale : 12ème édition de la Biennale de Taipei, You and I don’t live on the same planet — New Diplomatic Encounters

L’installation MASS de June Balthazard et Pierre Pauze sera montrée pour la première fois lors de la Biennale de Taipei 2020, intitulée You and I don’t live on the same planet. Le sociologue et philosophe des sciences Bruno Latour et le curateur indépendant Martin Guinard-Terrin piloteront cette 12ème édition, qui aura lieu du 21 novembre 2020 au 14 mars 2021. L’évènement poursuivra le dialogue sur les questions géopolitiques et géohistoriques entamé lors de la 11e édition, centrée autour de la coexistence entre l’homme et son environnement et des relations symbiotiques entre différents environnements. Avec MASS, June Balthazard et Perre Pauze intégreront les « nouvelles rencontres diplomatiques » mises en place par les commissaires de la biennale.

« Vous et moi ne partageons pas la même vision du monde » est une expression fréquente dans les débats politiques, que ce soit dans un cadre officiel ou informel. Mais le fait est qu’aujourd’hui il n’est plus question d’une différence de « visions » sur un espace qui serait le même pour tout le monde, mais de la « matérialité » même du monde dont nous parlons. Alors qu’auparavant, en géopolitique des personnes différentes avec des intérêts différents se battaient pour des territoires qui faisaient partie de la même nature, aujourd’hui c’est la composition de cette nature même qui est en jeu. Il ne faut pas beaucoup de temps pour réaliser à quel point les différents habitants de la Terre sont divisés quant à la nature exacte de leur planète. Il est clair, par exemple, que Donald Trump et Greta Thunberg ne vivent pas sur la même planète !

Bruno Latour

L’installation MASS est réalisée en partenariat avec : la Biennale de Taipei, Hermès, Le Fresnoy – Studio national des arts contemporains, Futur Antérieur Production, la Scam, et la Cité internationale des arts.

June Balthazard et Pierre Pauze © DR

Qui sont June Balthazard et Pierre Pauze ?

Née en 1991 en France, June Balthazard a étudié à l’Institut Supérieur des Beaux-Arts (ISBA) de Besançon et parallèlement, à la Haute École d’Art et de Design (HEAD) de Genève dans le département Cinéma/cinéma du réel. Elle a également fait un post-diplôme au Fresnoy – Studio National des Arts Contemporains où elle a réalisé deux documentaires : La rivière Tanier et Le baiser du silure. Son travail mêle des éléments hétéroclites. Elle confronte notamment le documentaire à des formes plus éloignées du réel, qui ne le trahissent pas, mais au contraire l’éclairent et le transfigurent. En ce sens, ses films sont empreints d’un réalisme magique. 
Son travail a été montré dans des festivals internationaux tels que le Festival international du film de Melbourne en Australie, le Festival international du court-métrage de Busan en Corée du Sud, Go Short aux Pays-Bas, le Festival du court-métrage de Clermont-Ferrand en France, les RIDM au Canada ou Visions du réel en Suisse, où elle a reçu le prix Opening Scenes en 2018.

Diplômé avec les félicitations du jury des Beaux-Arts de Paris, Pierre Pauze a terminé son cursus au Fresnoy – Studio national des arts contemporains en 2019 – promotion Michelangelo Antonioni. Lauréat du prix Artagon, et du Prix agnes b. en 2016 et du prix ADAGP Révélation Art numérique Art—vidéo en 2019, il a notamment exposé son travail à la Cité internationale des arts, au Carreau du Temple, à La Villette, aux Magasins Généraux, ou à la Brownstone Foundation à Paris, ainsi qu’au Musée Es Baluard à Majorque ou au K-Museum of Contemporary Art à Séoul.

L’œuvre de Pierre Pauze décline avec une richesse protéiforme la fiction narrative dans des protocoles vidéo proches de la culture cinématographique, mobilisant plusieurs niveaux d’écriture : l’ethnographie, la science-fiction, les récits mystiques et les jeux-vidéo. Toutes ces formes de narration produisent ensemble un kaléidoscope conceptuel, achevant l’opposition traditionnelle entre l’observation du réel et la construction d’une fiction. Pour Pierre Pauze, cette matière est l’occasion d’une projection dans un avenir dystopique, complexe, contradictoire.

Théo-Mario Coppola