Exploration autour de la culture du voguing : la réaffirmation d’une identité et l’émancipation de toute une communauté, à travers la conversation entre Bintou Dembélé – artiste associé·e aux Ateliers Médicis & Vinii Revlon, dans le cadre de Palabre, cercle de paroles sur les savoir-être et les pratiques artistiques de la marge, produit par les Ateliers Médicis. Vinii Revlon, danseur de voguing est le deuxième invité de Bintou Dembélé. Ils échangent autour de cette danse urbaine née dans les années soixante-dix dans des clubs LGBT+ new-yorkais. Extraits ci-dessous.
« Finalement à ces endroits là, d’être LGBT+ ca ne suffit pas, le fait d’être racisé est un problème. »
Extraits.
Vinii Revlon — Je suis artiste, je suis personne queer, je suis français, mais avant tout congolais.
Bintou Dembélé — Est-ce-qu’il y a une langue qui définit tout ça ?
VR — Le voguing.
BD — La langue du voguing.
VR — Le voguing me définit, je peux taper dans ma féminité comme taper dans mon côté masculin en faisant des allers-retours, systématiquement, j’adore ça. Le voguing, qui est une danse ultra féminine, a renforcé mon côté masculin.
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BD — Peut-être que l’on peut rentrer dans le vif du sujet et se dire : quelle est la genèse du voguing et son contexte ? Aux États-Unis à Stonewall, deux personnes queers Sylvia Rivera et Marsha P. Johnson, lancent un pavé sur les flics, à Christopher Street. C’est une réaction aux violences policières qui n’autorisent pas aux personnes LGBT+ de pouvoir se rencontrer, se retrouver, dans des bars et dans les rues. Là, c’est : « stop, on n’en veut plus ». Ces premières pierres vont donner naissance à la Gay Pride et à une liberté – pleine et entière – d’exister, d’être. Et en même temps, une autre réaction se crée, c’est la culture du vogue, qui est elle aussi en réaction à un autre espace, où l’on s’invente et se réinvente : celui des drag queens et drag kings rejetés de la communauté blanche – en tout cas qui se sentent à la marge. Finalement, à ces endroits là, d’être LGBT+ ne suffit pas, le fait d’être racisé est un problème. Il y a des personnes qui vont réagir et dire : « fuck, on va créer nos espaces » et ces espaces, c’est le voguing.
VR — Je pense que c’était un surplus, de se dire : « on est censé.e.s être du même milieu et pourtant on est quand même discriminé·e·s. »
« Un « ball », c’est une célébration. On célèbre qui on est, qui on représente et qui on a envie d’être à ce moment précis »
BD — On est dans les années 70, le voguing, c’est trois danses : le « old way », le « new way»et le « vogue fem ». À l’intérieur de ça, il y a des espaces et une manière de créer cet espace : le ballroom, qui est une manière de défiler.
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VR — Un « ball », c’est une célébration. On célèbre qui est on est, qui on représente et qui on a envie d’être à ce moment précis.
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BD — Se célébrer et célébrer sa communauté, car le voguing c’est des « houses ». […] La première « house » en France est Ladurée.
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VR — Une « house », c’est une famille, choisie, avec un nom de famille. Qui est pour ma part : Revlon. Je l’ai choisie, on m’a choisi. […] Il y a des « fathers », des « mothers », des « kids », ils vont avoir un rapport avec nous différent de leur père et mère biologique. Les discussions sont différentes. Ce n’est pas évident de discuter de sexualité avec ses parents, étant noir.e, arabe, latino.a, donc c’est plus facile pour eux d’en discuter avec nous. Ça sauve des vies.
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BD — On peut, peut-être, revenir sur les lieux où se célèbre le voguing.
VR — La ballroom scene, est underground, donc généralement en France, tu vas les trouver en boîte ou dans des grandes salles de concerts comme la Gaîté Lyrique. On a aussi fait des balls dans des salles de danses, dans des gymnases. On peut le faire partout, car en vérité, nous sommes partout.
BD — C’est la continuité de la prise d’espaces de nos cultures, de nos danses.
BD — J’ai envie de souligner la singularité et la force de ce que tu crées, qui est différent des États-Unis. C’est à dire ta « house ». Il y a une revendication de ton identité et de ton origine : tu as créé l’Africa Ball.
VR — C’était l’idée d’un ami, et je me suis associé avec Charly Ebony pour réaliser cette première édition. On voulait voir si ça marcherait, lui est sénégalais et moi congolais. On s’est dit pourquoi pas, ce n’est pas quelque chose qui est fait aux États-unis, on est français, mais on représente. On a fait des catégories basées sur l’Afrique et cela a marché. On est à la troisième édition et on rentre sur la quatrième. Cela a été une grosse différence entre la France, Paris, et les États-unis, New-York… c’est une culture américaine qui a été amenée à Paris, avec un peu de sels congolais et sénégalais. […] Le voguing, c’est toi et ta personne, il y a la base que tu dois connaître, mais ensuite tu dois amener ta sauce à toi.
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BD — Racontes-nous ce qu’est le « old way », le « new way » et le « vogue fem ».
VR — Le « old way », c’est le premier vogue, c’est très linéaire, droit, ton visage est figé, tu es concentré. Le « new way », c’est l’opposé, c’est des torsions, de la souplesse et le « vogue fem », c’est très actuel, plus dansé et rythmé, et tu peux te permettre d’ajouter d’autres styles de danses.
« Quand tu vogues, tu dois être l’exagération de la femme »
BD — Moi j’avais envie aussi de parler des personnes présentes dans les ballrooms et le kiki balls. Quelle est la place des femmes queers et des lesbiennes ?
VR — Beaucoup de gens pensent que les femmes racisées sont des invitées. Ce n’est pas vrai. Elles ont toujours été là, elles ont toujours supporté, toujours aidé. Elles ont une place énorme, elles sont aussi un modèle.
BD — Tu as donc l’impression que sur la scène parisienne, elles sont là ?
VR — Pas autant. Et surtout des femmes de couleurs, il n’y en pas assez. […] La communauté lesbienne, il n’y a que maintenant qu’elle se rapproche du voguing. Avant, il y avait vraiment la séparation entre les lesbiennes et les gays.
BD — On peut même sortir de la culture du voguing. Nous sommes dans un contexte où, dans ces dernières années, ta génération s’est autorisée à être visible et à revendiquer cette visibilité là. Le voguing aide à cela, les scènes, les réseaux sociaux aussi, mais seulement jusqu’à présent. Avant, il y avait quelque chose de complexe, car il y avait soit de la récupération ou une difficulté en banlieue ou autre…
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VR — C’est sûr que ce n’est pas le même discours qu’avant. Aujourd’hui on peut parler. On a plus de droits, on est protégés, donc il y a beaucoup plus de personnes qui sont visibles. Et dans mon cas, c’est vrai que je me cachais aussi.
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BD — J’ai aussi envie de converser avec toi sur la question du modèle de féminité, du geste, de la manière de déambuler, car à la base, c’est beaucoup imprégné de la revue Vogue, l’idée de défiler, toute la tendance mode et la projection qu’on en fait. À l’époque c’était beaucoup de femmes blanches. […] Par moment aussi, il peut y avoir une ambiguïté, une réappropriation. Peux-tu nous dire de quelle féminité nous parlons et qui est autorisé à faire du voguing, car comme on le disait, il s’agit d’un espace qui a été revendiqué au niveau des personnes racisées et il y a finalement des débordements qui existent. De quelle manière toi, tu cadres cela ?
VR — Quand tu vogues, tu dois être l’exagération de la femme, c’est très « extra ». Aujourd’hui, il y a beaucoup d’hétérosexuels, hommes, qui veulent faire du voguing. Pourquoi ? Parce que c’est actuel ? Ont-ils le droit ? Non, car, qu’est-ce que tu racontes ? Pourquoi veux-tu voguer ? Cela a une histoire, un passé, qui est aussi présent. On ne raconte pas la même chose. Cela n’a aucun sens.
📺 Palabre – épisode #2
Qui est Bintou Dembélé ?
Bintou Dembélé est l’une des artistes majeures issues du mouvement Hip-Hop en France. Revisitant la Street Dance au prisme de la musique répétitive et des polyphonies rythmiques, ses chorégraphies explorent les mémoires rituelles et corporelles, les cultures de la marge, les zones d’ombres de l’Histoire coloniale et postcoloniale, les stratégies de réappropriation et de marronnage. Elle crée, au sein de la compagnie Rualité, six spectacles. Ses créations, qui convoquent des esthétiques variées – de la danse à la musique en passant par les arts visuels – construisent souvent des ponts entre des domaines artistiques habituellement séparés. En 2017, Clément Cogitore fait appel à Bintou Dembélé pour chorégraphier son film Les Indes Galantes pour la 3e Scène de l’Opéra national de Paris, et en 2019 l’opéra-ballet. Bintou Dembélé est artiste associé·e aux Ateliers Médicis, pour penser un nouveau type d’école, formant à la singularité, à l’hybridité et au mouvement et pour outiller celles et ceux qui se construisent sur les bords, pour qu’ils gagnent le centre et participent au renouvellement des récits et des formes artistiques.
Qui est Vinii Revlon ?
Reconnu aux États Unis en 2018 comme la première légende du vogue en Europe, Vinii contribue à la construction de la scène voguing en France depuis 2013. Il est à l’initiative chaque année de très gros événements Voguing ou « BALL », comme « The United States of Africa Ball » qui se déroule à la Gaîté Lyrique à Paris. Il organise des workshops et Vogue Class partout dans le monde, au Brésil, en Espagne, à Londres, en Allemagne, etc. Vinii Revlon introduit le voguing dans le clip Pookie d’Aya Nakamura et jusque sur les marches du parvis de l’Élysée avec l’artiste Kiddy Smile, à l’occasion de la fête de la musique 2018. En 2019, il rejoint l’équipe de performeurs de l’opéra des Indes galantes, chorégraphié par Bintou Dembélé et mis en scène par Clément Cogitore et y introduit le voguing.
Palabre, un cercle de parole par Bintou Dembélé
Palabre, présenté par Bintou Dembélé, est un cercle de parole sur les savoir-être et les pratiques artistiques de la marge, sous la forme d’un épisode diffusé chaque mois, de mai à juillet 2020 sur ateliersmedicis.fr.
📢 Épisode #1 : Krump avec Cyborg
🕒 Depuis le 07 mai : ICI
📢 Épisode #2 : Voguing avec Vinii Revlon
🕒 Depuis le 11 juin : ICI
📢 Épisode #3 : Chant avec Charlène Andjembé
🕒 À découvrir ce mois-ci